Commentaire sur l’Ecclésiaste. Chapitres 4,17-5,8

Cet article fait partie du dossier thématique Qohélet

Cet article propose un commentaire des chapitres 4,17-5,8 du livre de Qohélet / Ecclésiaste, de la main de Nicolas Merminod.

4,17–5,6. Le geste rituel implique l’individu

Après un portrait de la société, l’auteur étudie ici les actions religieuses, toujours dans la même démarche : défaire les fausses sécurités et rappeler la précarité de la condition humaine. Un poids particulier est ici mis sur la parole alors que l’action semble être reléguée au second plan.

Surveille tes pas quand tu vas à la Maison de Dieu,

approche-toi pour écouter plutôt que pour offrir le sacrifice des insensés ;

car ils ne savent pas qu’ils font le mal.

Qo 4:17 Traduction Oecuménique de la Bible

La pratique religieuse que présente l’auteur va ici à l’encontre d’une théologie sacrificielle, ce qui rejoint les textes prophétiques appelant à la justice sociale plutôt que les sacrifices. Le propos ici n’est pas de nier toute valeur des sacrifices, mais plutôt de prendre Dieu au sérieux. L’auteur appelle le lecteur à aller au Temple pour entendre Dieu, et donc à une attitude passive et d’accueil, plutôt que pour offrir un sacrifice, attitude d’action et de don. De plus, ce don n’est même pas nécessairement positif ; celui qui ne le fait pas correctement étant inconscient de son erreur. L’offrande de sacrifice ne transforme pas l’individu – il ne devient pas plus sage – alors que se mettre à l’écoute de Dieu peut le faire grandir, le rapprocher de la sagesse.

Il y a donc une opposition entre une passivité qui mène à la sagesse et une action qui ne change rien. Formulé autrement, l’action apporte une sécurité potentiellement illusoire alors qu’une attitude plus réceptive peut ouvrir à la sagesse.

Que ta bouche ne se précipite pas
et que ton cœur ne se hâte pas
de proférer une parole devant Dieu.
Car Dieu est dans le ciel, et toi sur la terre.
Donc, que tes paroles soient peu nombreuses !

Qo 5:1 Traduction Oecuménique de la Bible

L’affirmation que « Dieu est dans les cieux, et toi, tu es sur la terre » (5,1) peut être comprise de deux manières.

Une lecture est de comprendre ces lieux comme l’affirmation que Dieu est au-dessus de l’humain ; déjà que l’humain ne fait que passer dans le monde alors même que le monde continue son mouvement inlassablement au fil des générations (Qo 1:3-11), Dieu est encore au-dessus de tout cela.

Une autre lecture est que la parole arrive jusqu’aux cieux ; Dieu l’entend. Dans ce cas, il y aurait une critique du sacrifice : c’est bien la parole humaine et non le sacrifice qu’il offre qui arrive jusqu’à Dieu.

Dans tous les cas, cela met l’importance sur la parole ; elle a un poids réel, raison pour laquelle l’auteur appelle à en user avec retenue, à ne pas parler en vain.

La retenue a ici pour but de maintenir l’individu au plus près de son existence terrestre : retenue dans son œuvre pour ne pas se perdre dans des songes, et retenue dans ses paroles pour se distinguer de l’insensé qui parle trop. Cette retenue dans les actions et les paroles va dans le sens de la passivité, de la critique d’une religion qui serait centrée sur le sacrifice.

2 Car de l’abondance des occupations vient le rêve
et de l’abondance des paroles, les propos ineptes.
3 Si tu fais un vœu à Dieu,
ne tarde pas à l’accomplir.
Car il n’y a pas de faveur pour les insensés ;
le vœu que tu as fait, accomplis-le.
4 Mieux vaut pour toi ne pas faire de vœu
que faire un vœu et ne pas l’accomplir.
5 Ne laisse pas ta bouche te rendre coupable tout entier,
et ne va pas dire au messager de Dieu : « C’est une méprise. »
Pourquoi Dieu devrait-il s’irriter de tes propos
et ruiner l’œuvre de tes mains ?

Qo 5:2-5 Traduction Oecuménique de la Bible

La parole engage celui qui la dit ; celui qui fait un vœu a donc tout intérêt à accomplir rapidement son vœu, sans quoi il ne se distingue pas de l’insensé (Qo 5:2), insensé pour qui Dieu n’a pas de volonté (θέλημα), de désir (חפץ). Même si la sagesse ne change rien par rapport à la mort, il y a donc ici l’affirmation que l’insensé ne plaît pas à Dieu. On retrouve donc l’affirmation que la sagesse vaut mieux que la folie (Qo 2:13). Aussi, mieux vaut ne pas faire de vœu que d’en faire un sans l’accomplir ensuite, ce qui rejoint Mt 5:33-37 ; il est moins grave de ne pas prendre d’engagement que d’en prendre et de ne pas le tenir (v. 4).

Le v. 5 prolonge cette affirmation : le poids de la parole est tel qu’elle peut rendre coupable l’être tout entier, littéralement « rendre coupable ta chair », ce qui rejoint Mt 5:29-30. Aussi, la parole devant Dieu engage pleinement l’individu et l’auteur est critique lorsque le sérieux de cette parole est ignoré ; une fois la parole dite, impossible de se dédire et prétendre l’inadvertance n’est pas une excuse valable.

Un point à relever au v. 5 est la divergence entre les textes : pour la LXX((Traduction grecque de l’Ancien Testament)) il s’agit d’invoquer cette excuse devant Dieu alors que dans le THM((« Texte Hébreux Massorétique » : Il s’agit du texte de l’Ancien Testament en hébreu faisant autorité qui sert de base à la traduction de la majorité des bibles)), c’est devant le messager, cela désignant probablement le prêtre qui est compris comme intermédiaire entre les humains et Dieu. Que ce soit directement (LXX) ou indirectement (THM), c’est bien Dieu qui visé ; aussi, autant éviter de commettre un manquement devant Dieu et d’encourir la sanction (v. 5b). Il y a donc ici bien l’idée d’un Dieu qui peut exercer la rétribution, ou du moins une forme de sanction.

6 Quand il y a abondance de rêves, de vanités,
et beaucoup de paroles, alors, crains Dieu.

Qo 5:6 Traduction Oecuménique de la Bible

Le v. 6 reprend le v. 2, en ordonnant les termes autrement. La meilleure traduction me semble être « Quand il y a nombre de songes, de vanités et des paroles nombreuses, alors crains Dieu. » Les textes hébreu et grec présentent bien une addition des termes ; lorsqu’il y a cela, alors c’est le signal pour le lecteur qu’il faut craindre Dieu. Comme pour le v. 2, c’est une attitude d’activisme irresponsable qui est critiquée ; lorsque l’individu prend conscience qu’il y a de nombreux songes, vanités et paroles, alors c’est qu’il est comme un insensé devant Dieu. Aussi, c’est plutôt une retenue – plutôt que passivité – qui est ici prônée.

Par opposition à une religion reposant sur le rite, l’auteur rejoint divers textes prophétiques et anticipe des critiques du NT pour replacer le croyant devant Dieu. Le plus important n’est pas tant ce que le croyant fait que la dynamique qui motive son attitude. Le rituel n’est pas à balayer mais il ne prend vraiment sens que s’il est pleinement investi par le croyant, s’il y a une congruence entre le geste objectif et l’attitude subjective.

5,7-8. Administration corrompue

Dans ce passage, la hiérarchie étatique est considérée négativement dans la mesure elle n’applique pas la justice ; cela prolonge Qo 3:16-17.

Si, dans l’Etat, tu vois l’indigent opprimé,
le droit et la justice violés,
ne sois pas surpris de la chose ;
car au-dessus d’un grand personnage
veille un autre grand,
et au-dessus d’eux, il y a encore des grands.

Qo 5:7 Traduction Oecuménique de la Bible

Les individus au pouvoir sont soutenus par leur supérieur hiérarchique, ce qui les rend inattaquables et explique l’injustice sociale. Celle-ci n’est alors pas à considérer comme surprenante ; elle relève simplement du constat. La conséquence est que l’administration n’accomplit pas la justice sociale, les supérieurs ne sanctionnant pas les manquements de leurs subordonnés. Aussi, chaque échelon hiérarchique est validé et protégé par l’échelon supérieur.

Et à tous, la terre profite ;
le roi est tributaire de l’agriculture.

Qo 5:8 Traduction Oecuménique de la Bible

Cependant, même le roi – donc celui qui est au sommet de la hiérarchie – dépend de l’agriculture. La pyramide du pouvoir pèse sur ceux qui sont à la base – donc les agriculteurs – alors même que ce sont eux qui font vivre l’ensemble de la société. L’auteur utilise ici l’ironie : ce sont finalement ceux qui subissent la hiérarchie – paiement des impôts, d’un tribut – qui la font vivre. L’administration vit finalement au dépens de la société dans laquelle elle exerce.

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Nicolas Merminod

Nicolas est pasteur dans l’Église réformée vaudoise dans la paroisse du Jorat. Membre du Care Team Vaud, il fait du soutien psychologique d’urgence sur mandat de la gendarmerie vaudoise. Dans un  registre plus léger, il profite des largesses du temps (météorologique et temporel) pour aller grimper.

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