Sauvée du péché – sauvée par un chat ?

Cet article fait partie du dossier thématique Sauveurs et sauveuses

Jésus, sauveur du monde… Je veux bien y croire

D’ailleurs, j’y crois, je suis chrétienne. Quand mon compagnon me dit que lui ne sent pas le besoin d’être sauvé, je lui réponds que moi oui. Evidemment, il me demande : « sauvée de quoi, alors ? » « Du péché », je réplique un peu vite. « Et c’est quoi le péché ? C’est quoi ce péché dont on aurait besoin d’être sauvé·e ? » Sacrée question, mon cher, sacrée question… Je suis alors bien en peine de continuer la discussion.

C’est vrai que la notion de péché me fait peur, semble bassement moralisatrice… Est-ce que ce mot peut encore être compris aujourd’hui ? Peut-il encore nous dire quelque chose de l’Evangile ? Répond-il vraiment à ce besoin d’être sauvé·e ? Parfois, j’ai peine à le croire…

Faisons un pas de côté, du côté de Fruits Basket

Il s’agit d’un manga de 23 tomes créé par Natsuki Takaya, publiés entre 1999 et 2007 (dont sont issues deux adaptations animées), contant l’histoire de Tohru, jeune lycéenne, qui va se retrouvée liée à une famille dont certains membres sont possédés par les esprits du zodiaque chinois, soumis à l’emprise du chef de leur clan. Entre les amitiés, les cours, et les secrets de famille, les personnages tentent de trouver leur place, de faire face au passé et au futur, de se construire. Si au début, le ton est plutôt léger, l’univers doux et drôle, l’histoire se révèle bien vite profonde, subtile, soulevant des thématiques parfois grave (harcèlement, abandon, maltraitance, …). [N.B. De légers spoilers peuvent apparaitre dans la suite de l’article. Rien qui gâche le plaisir de la lecture, cependant.]

Par ailleurs, connaissez-vous la légende qui explique pourquoi le chat n’est pas dans les animaux du zodiaque ? L’on raconte que lorsque le Dieu offrit des invitations pour sa fête aux divers animaux, la souris en informa le chat, lui mentant sur la date. Et alors que le chat rêve de la fête, au chaud dans son lit, tous y sont présents, la souris arrivée en tête, perchée sur le dos du boeuf. Nous y reviendrons.

Tohru, la sauveuse

Tohru, dont j’ai déjà brossé un portrait sur le site d’Open Source Church est la protagoniste du récit que l’on pourrait qualifier de sauveuse – elle qui, entourée de personnages extraordinaires, semble la plus insignifiante. Pourtant, grâce à son empathie et sa persévérance sans borne, elle est celle qui redonne aux gens la place d’exister. Celleux qui l’entourent sortent peu à peu du désespoir, réchauffé·e·s par sa tendresse, et peuvent envisager la liberté ; iels voient en elle la figure dont iels ont besoin pour soigner leurs blessures.

Tohru est ainsi souvent perçue comme une maman – ce qui me fait songer à certains passages de l’Ancien Testament où Dieu ellui-même est mère((« Une femme oublie-t-elle son petit enfant, cesse-t-elle de chérir le fruit de ses entrailles ? Même si les femmes oubliaient, moi, [Dieu,] je ne t’oublierai pas. » Esaïe 66,13.49,15. Cité par Frère Emmanuel, de Taizé, dans Un amour méconnu. Au delà des représentations spontanées de Dieu)).

Ceci dit, Tohru n’est pas à proprement parler une figure divine, et mon propos n’est pas d’établir un parallèle entre elle et le Christ. Par ailleurs, Tohru refuse, durant une bonne partie du récit, d’être sauvée, et sauve les autres pour s’oublier elle-même – ce qui n’est évidemment pas le cas de Jésus, qui sauve car il est pleinement lui-même, jusqu’au bout. Tohru est « juste » une représentation d’un humain qui fait de son mieux pour être disponible à l’autre tout en gérant ses propres blessures (ce qui fait que je l’aime tant), et elle m’inspire en tant que tel. Mais bref, là n’est toujours pas mon propos.

La vraie histoire du chat

Revenons-en à nos animaux du zodiaque. C’est autour de la légende du chat que beaucoup d’enjeux prennent place dans le manga((principalement la rivalité entre les deux autres personnages principaux, Yuki et Kyo)). Et alors que le dénouement final approche, l’autrice en propose une autre version, présentée comme authentique.

En réalité, le chat est le premier ami du Dieu qui jusque là restait seul par crainte des humains. Encouragé par cette amitié, le Dieu organisa une fête à laquelle vinrent assister les animaux représentés dans le zodiaque, et d’autres fêtes suivirent alors. Or, le chat arriva à la fin de sa vie ; le Dieu ne l’accepta pas et lui fit boire, ainsi qu’aux autres animaux, un saké enchanté qui leur garantirait de se retrouver vie après vie, éternellement. Cependant, avant de mourir, le chat s’attrista : « Moi, je ne désire pas l’éternité. Je ne souhaite rien d’immuable. »((Fruits Basket tome 22, p. 171)) Tous lui tournèrent le dos, se sentant trahis, et se raccrochant à cette promesse de lien indéfectible.

Une jolie histoire triste, mais que vient-elle donc faire dans notre discussion sur la notion de sauveur ? Patience, j’y viens.

De la promesse à la malédiction

Ainsi, dans le présent du manga, c’est toujours cette histoire qui se joue pour nos personnages, prisonniers d’une promesse qui s’est peu à peu muée en malédiction. Comment a-t-on pu passer d’une promesse à une malédiction ? « A ce moment, l’amour était pourtant bien là ! Mais avec le temps, les gens ont changé, et cet amour s’est mué en souffrance »((Fruits Basket tome 22, p. 186)).

Car si au début, la promesse faisait sens pour chacun des animaux excepté le chat, qui en a toujours souffert, le fondement de cette promesse s’est perdu au fil du temps, et n’est plus resté que la contrainte. Ce lien si rassurant s’est usé, jusqu’à devenir « un vieux ruban élimé »((Fruits Basket tome 22, p. 187)) dont chacun·e porte le fardeau sans comprendre, n’y voyant plus qu’un frein à sa liberté, à son épanouissement.

Et fondamentalement, c’est de ce fardeau que les personnages sont sauvés par Tohru – et dont elle est elle-même sauvée. C’est en partie pour cela que j’aime autant cette oeuvre : sa limpidité. Toutes les circonvolutions, les complications du récit, les errances des protagonistes se résument à cela : iels étaient empêtré·e·s dans des liens qui ne faisaient plus sens.

Libérée des liens qui figent

Cette limpidité jette pour moi un éclairage nouveau sur la notion de péché. Et si ce dont j’avais besoin d’être sauvée, c’est de tous ces liens qui ne font plus sens pour moi aujourd’hui ? Et si le péché était de se complaire, bon gré mal gré, dans ces liens qui nous entravent et empêchent d’exprimer qui nous sommes vraiment ?

Comme le chat de la légende, comme Tohru et ses camarades au fil de leurs aventures, nous devons accepter que les gens, les relations, changent. Tout change. Et nous aussi.

Et Dieu ? Je ne sais s’iel change, mais il est sûr que notre image d’ellui est amenée à changer, à se laisser toujours dépasser. A ce sujet, je ne saurais trop vous conseiller la lecture d’Un amour méconnu. Au-delà des représentations spontanées de Dieu, de Frère Emmanuel de Taizé.

Jésus, sauveur du monde… Oui, j’y crois.

Je crois que j’ai besoin, encore et toujours, d’être sauvée de ce qui se fige en moi, de ce qui paralyse ma relation au monde et aux autres. De ce péché là, j’ai besoin d’être sauvée ; j’ai besoin d’un regard bienveillant posé sur ma vie, qui me dit que les choses changent, que j’ai la force d’avancer librement, de créer et recréer des liens sur lesquels bâtir ma vie, des liens qui font sens. Et ce n’est pas un regard que je peux porter seule sur moi-même, j’ai besoin d’un autre regard.

L’Evangile, la Bonne Nouvelle, c’est peut-être aussi simple que cela : Dieu porte ce regard sur moi, sur nous. Et ça, c’est Tohru qui me l’a appris.

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Noémie Emery

Pasteure stagiaire dans la paroisse de Vallorbe et pasteure suffragante à Cossonay dès septembre 2022, Noémie Emery a étudié le français moderne et la linguistique en faculté des Lettres à l’université de Lausanne, avant de se tourner vers la théologie. Durant ses années d’étude, elle approfondit sa vocation qui mêle l’inclusivité, l’écologie et la culture geek à l’Evangile.

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