Snowpiercer. Quel sauveur, quelle sauveuse à bord du train post-apocalypse?

Cet article fait partie du dossier thématique Sauveurs et sauveuses

Pitch de la série

Les séries télévisées apocalyptiques abondent depuis plusieurs années et la crainte d’un effondrement globalisé alimente sans doute la fascination pour de telles œuvres. Face à la menace d’une fin du monde (ou d’un monde), la question se pose : quel sauveur, quelle sauveuse pour nous sortir de là ? Sur la plateforme de streaming Netflix, la série dystopique et post-apocalyptique Snowpiecer est diffusée depuis 2020. Plusieurs années après l’hiver nucléaire, la terre est devenue inhabitable sauf pour celles et ceux qui sont montés à bord du Snowpiecer, un train en mouvement perpétuel. Tout le reste du genre humain a disparu. 

La vie à bord a accentué les inégalités déjà en place avant l’apocalypse. Les familles les plus riches occupent de vastes appartements en première classe. La upper-middle-class est en deuxième classe, tandis que les masses laborieuses se contentent de la troisième classe. Pire encore, les tailies (les sans-tickets, qui occupent la queue du train) sont réduits en esclavage car, pour eux, il n’y avait pas de place à bord. La survie a été pensée sans eux et c’est de force qu’ils sont montés à bord.  L’espoir qui domine est que la terre redevienne vivable. En attendant, il faut survivre, il faut tenir. Et pour cela, il faut faire confiance à la bonne personne.

Wilford – l’Antéchrist

Au début de la série, on comprend que le train a été construit et est commandé par Joseph Wilford, présenté comme un philanthrope à qui le genre humain doit sa survie. C’est le premier sauveur. Ses ordres ne peuvent jamais être discutés, il n’est pas possible d’entrer en contact avec lui, il passe tout son temps dans la locomotive qualifiée d’éternelle. Et pour les tailies, la moindre rébellion est sanctionnée par une amputation particulièrement impressionnante. Les membres de la Conciergerie sont les ambassadeur⸱rices de Wilford et font en sorte que la volonté de Wilford soit scrupuleusement respectée.

La fin de la première saison révèle que Wilford n’est pas à bord du train, qui est parti sans lui. Melanie Cavill, cheffe de la Conciergerie, est en fait l’ingénieure qui a conçu le train avec Wilford et le lui a volé. Wilford parvient tout de même à réintégrer le train (je vous passe les détails !) et à reprendre momentanément son pouvoir, en réactivant toute la ferveur autour de sa personne. Par exemple, dans une sorte de piété, les plus farouches défenseurs de Wilford tracent sur eux la lettre W comme ont fait un signe de croix. Wilford répète à l’envi « Je suis le train », désignant par là la collectivité et le moyen de salut. Mais Wilford est aussi prêt à tout sacrifier et à faire mourir tout le monde avec lui pour ne pas perdre son pouvoir. Il est le sauveur des riches et les autres ne l’intéressent que pour le labeur qu’ils peuvent fournir gratuitement. Sans beaucoup forcer le portrait qui est fait de lui, on peut voir Wilford comme un Antéchrist, une sorte de faux-prophète qui ne reconnaît pas le vrai Dieu. 

André – le Messie

Au cours de la première saison, c’est donc Melanie Cavill qui est en charge du train. Sous couvert d’obéissance à Wilford, ce sont ses ordres à elle qui sont exécutés. L’imposture est dévoilée à l’occasion d’une révolution qui voit les tailies prendre le pouvoir sur le train. À leur tête, Andre Layton, qui veut l’égalité pour toutes et tous. A priori, un meilleur candidat au titre de « vrai sauveur », même si ce dernier n’hésitera pas à utiliser une violence comparable à celle de son adversaire pour l’emporter, sacrifiant au passage les wagons hébergeant les plus riches, opposés à la révolution.

À la manière d’un Messie, Andre est porté par un rêve, qui lui a fait entrevoir un arbre luxuriant, preuve d’une vie à nouveau possible quelque part sur terre. Andre croit dur comme fer à son rêve (et la fin de la série montrera peut-être qu’il a eu raison !), ce qui le pousse à vouloir détourner le train de la voie tracée pour le conduire ailleurs, plus loin. Mais là où Wilford imposait sa loi, Andre offre aux passagers de s’exprimer par un vote. Pour convaincre les électeurs, consultés pour la première fois depuis l’embarquement, il ment et demande à Asha (une survivante retrouvée dans une base souterraine) de décrire en public le « nouvel Eden » dont elle reviendrait. Andre et Asha, en milieu de la troisième saison (la suite n’est pas encore diffusée !) forment ainsi une sorte de couple messianique, consacré à « vendre du rêve » pour le bien supposé des derniers humains encore vivants. 

Ruth – La résistante

Alors que le train est momentanément coupé en deux, une partie est soumise à l’autorité de Wilford et l’autre à celle d’Andre. C’est là qu’un autre personnage se dévoile : Ruth Wardell. Ruth est une ancienne de la Conciergerie, bras droit de Melanie. D’abord dévote de Wilford, Ruth prend conscience du fantasme et de l’injustice que représentait l’ordre établi par Wilford. Ruth entre alors en résistance, au péril de sa vie.

C’est peut-être Ruth qui s’approche le plus d’une figure christique, en dépit de son passé de « collabo » toujours prompte à amputer les récalcitrants. Alors qu’elle est au cachot où l’a jetée Wilford, elle lui dit « Je suis loyale à quelque chose de plus grand que vous. Vous avez tout faux. […] Gagner, ce n’est pas mener. La loyauté ne fait pas tout. Elle doit s’accompagner d’amour. […] Un amour inconditionnel. Un sacrifice pour chaque passager. » Cette déclaration de foi exprimée par Ruth me fait penser à l’amour d’agapè dépeint par Paul en 1 Co 13, 4-5 : L’amour prend patience, l’amour rend service, il ne jalouse pas, il ne plastronne pas, il ne s’enfle pas d’orgueil, il ne fait rien de laid, il ne cherche pas son intérêt, il ne s’irrite pas, il n’entretient pas de rancune. D’une certaine manière, le passé sulfureux de Ruth l’incarne, la rend plus proche de l’être humain : un être humain qui veut croire à un ordre transcendant et qui est prêt à beaucoup de sacrifices (d’idolâtrie ?) pour préserver cet ordre idéal.

Par ailleurs, Ruth est, parmi les femmes de la série, celle qui est la moins construite sur son rapport au physique ou à la séduction. En ceci, on peut la rapprocher d’un certain serviteur souffrant d’Esaïe 53, 2 : il n’avait ni aspect, ni prestance tels que nous le remarquions, ni apparence telle que nous le recherchions. Prête à tout, dans sa deuxième vie, pour le bien de la résistance (et donc des passagers), condamnée pour l’exemple à l’amputation, elle me fait encore penser au personnage d’Esaïe (53, 4-5) : En fait, ce sont nos souffrances qu’il a portées, ce sont nos douleurs qu’il a supportées, et nous, nous l’estimions touché, frappé par Dieu et humilié. Mais lui, il était déshonoré à cause de nos révoltes, broyé à cause de nos perversités : la sanction, gage de paix pour nous, était sur lui, et dans ses plaies se trouvait notre guérison.

Audrey – La collabo.

A l’inverse de Ruth, un personnage féminin est presque réduit à son physique, celui d’Audrey. Audrey vit dans le « wagon de nuit », sorte de lieu de perdition réservé aux première et deuxième classes du train de Wilford. Pour faire bref, Audrey est une sorte de danseuse burlesque. Wilford est amoureux d’elle, Audrey est fascinée par lui. Mais là où Wilford est dépeint comme un homme doté d’un cœur (finalement !), Audrey est présentée comme une courtisane lascive, lubrique, intéressée par le pouvoir et l’argent. J’attends la fin de la série avec espoir : Audrey sera-t-elle sauvée ou le scénario lui réservera-t-il un sort comparable aux femmes tondues de la Libération ? 

La responsabilité face au futur

Les multiples péripéties de la série voient le pouvoir à bord du train passer des mains de Wilford à celles de ses opposants, faisant naître des combats intérieurs chez les personnages. L’enjeu est de départager la liberté et la responsabilité. Un enjeu assez facilement adaptable à nos contextes, ne serait-ce que pour les questionnements écologiques : avons-nous la liberté de continuer à vivre comme avant, dans la mesure où nous en avons (pour le moment !) les moyens techniques ? avons-nous la responsabilité de sauver « tout le monde » alors que certain⸱e⸱s, plus puissants, ne nous suivrons pas ?

Le fait que l’intrigue se déroule dans un train offre une métaphore très évocatrice : il y a une voie toute tracée dont il est difficile de sortir sans dérailler. En outre, il est difficile de faire marche arrière. D’ailleurs, dans la série, le passé est quasiment absent. Wilford affirme d’ailleurs que « le plus faible souffre de ses souvenirs ». Mais si seul le futur compte, sur quoi construire ? Un sauveur, une sauveuse n’est-il⸱elle pas une personne qui nous sauve avec toute notre expérience, passé compris ? Dans la même veine, Andre ordonne « choisis ta vocation ». Ici, nous sommes loin du Dieu biblique qui est source de l’appel. Choisir sa vocation, c’est être à la fois émetteur⸱rice et récepteur⸱rice de l’appel. En d’autres termes, c’est fermer la porte à l’altérité de Dieu.

 À ce sujet, il est intéressant d’observer comment est médiatisée l’autorité. Je l’ai dit, le début de la série voit la parole de Wilford confisquée par la Conciergerie (Melanie et Ruth en particulier). Et cette parole passe par un micro : la plupart des passagers ne font qu’entendre une voix, transmise par des haut-parleurs dans les 1000 wagons du Snowpiercer. Il n’y a aucune place à l’interprétation : la parole est à comprendre exactement comme elle est dite. Andre puis Ruth introduiront du jeu dans cette herméneutique en laissant la place à la voix des passagers, par le vote, par l’auto-organisation etc. Là encore, des pistes de réflexion s’ouvrent pour nous : peut-on sauver les gens malgré eux ? L’autorité peut-elle être à sens unique ? Peut-elle venir d’ailleurs ? 

L’attribution du pouvoir

À la fin de ce parcours, j’avais envie de me demander dans quelle mesure, dans la série, le portrait du sauveur, de la sauveuse pouvait être réduit à une seule personne. De fait, à bord du train de Wilford, tout le monde (le corps entier !) paie les fautes d’un seul membre. L’égoïsme du moindre passager a des répercussions sur chacun⸱e. C’est en cela que la série est intéressante, évitant les portraits monolithiques. Ni Ruth (qui travaille en sous-main) ni Andre (qui décide tout seul) ne peuvent réussir leur entreprise de mener le train « à bon port ». 

Sans doute nos Églises peuvent-elles un peu s’inspirer de la profusion des séries apocalyptiques dont Snowpiercerest caractéristique. Si peu de gens aujourd’hui dans nos sociétés occidentales craignent la damnation, nombreuses sont celles qui ont peur du déclassement, de la mise à l’écart dans une société qui part sans elles, de l’effondrement, de la catastrophe climatique.

Si les scénaristes de Snowpiercer ont un talent de clairvoyance, peut-être est-ce celui de montrer la place du collectif et de mettre en lumière notre propension à donner du pouvoir à celles, ceux qui entendent nous sauver. 

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François Choquet

François Choquet est pasteur proposant de l'Eglise Protestante Unie de Belgique, en poste actuellement à Jemappes, dans le Borinage. Doctorant en Théologie à l'Institut Protestant de Théologie (faculté de Paris), ses recherches portent sur une lecture queer du roman Joseph et Aséneth orientée vers les questions de narration et de salut.

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