Commentaire sur l’Ecclésiaste. Chapitres 1-2

Cet article fait partie du dossier thématique Qohélet

Cet article propose le commentaire des chapitres 1-2 du livre de Qohélet / Ecclésiaste, de la main de Nicolas Merminod. Nous vous recommandons de lire l’Introduction à ce fil de commentaire avant de vous y plonger.

La question générale de Qo est de savoir où trouver une réelle sécurité pour notre vie. Or, toute son expérience le renvoie à un constat d’impuissance, à l’incapacité d’arriver à une réponse satisfaisante. L’auteur se débat donc avec ces questions, toujours conscient que la vie sur terre – « sous le soleil » pour reprendre ses termes – se fait aussi sous le regard de Dieu mais celui-ci reste éloigné, sans intervenir directement… Nous sommes ici bien loin d’autres textes de l’AT où Dieu est un acteur parmi d’autres, interagissant librement avec les humains. Avançons avec l’auteur dans sa quête.

1,1-2. Introduction de l’auteur

L’auteur commence par se présenter, ce qui n’est pas anodin puisque ces informations donnent quelques indications sur la suite de l’ouvrage, quelques clés de lecture pour poursuivre.

1 Paroles de Qohéleth, fils de David, roi à Jérusalem.

2 Vanité des vanités, dit Qohéleth,
vanité des vanités, tout est vanité.

Qo 1:1-2 Traduction oecuménique de la Bible

L’identification de l’auteur est complexe puisqu’il se présente comme étant Qohélet et fils de David. Ces indications semblent indiquer un jeu plutôt que de désigner un personnage réel ; il est peu probable que l’auteur soit réellement Salomon et si c’était le cas, alors l’indication de Qohélet paraît absurde.

  • Fils de David et roi ; cela suggère Salomon, mais ce n’est jamais explicité par la suite. Le point central dans le fait qu’il ait été roi est que cela indique une vie sociale “accomplie” ; il sait ce que sont le pouvoir et la richesse, il sait ce qu’ils impliquent et c’est donc en connaissance de cause qu’il les considère comme vanités dans l’ensemble de l’ouvrage.
  • Qohéleth est une désignation floue, qui ne correspond pas à un nom propre connu. Littéralement, c’est un participe actif féminin du verbe קהל au Qal, et signifierait alors « celle qui assemble », ou rassemble, ce qui ne désigne pas une personne précise. L’auteur décrivant la réalité de la condition humaine, peut-être s’agit-il de la commune condition humaine, ce qui implique la mort.

Le v. 2 indique la dynamique de l’ouvrage : « Tout est vanité ». Le terme ici traduit par vanité est הבל, la même racine qu’Abel, tué par son frère Caïn (Gn 4:1-16). Littéralement, ce terme désigne la buée, ce qui est sans consistance, ce qui existe mais passe, ne demeure pas. Affirmer que tout est vanité signifie que rien ne demeure, et donc qu’il n’y a rien de stable à quoi se raccrocher, rien qui demeure et puisse assurer une sécurité.

Est-ce réellement Salomon qui a écrit ce livre ? Au peu importe ; le point à retenir est que l’auteur se présente comme ayant accès l’ensemble des expériences humaines puisque son intelligence et sa richesse élargissent ses limites. Toutefois, malgré ces moyens il fait comme chacun l’expérience de la vanité…

1,3-11. Tout passe, mais sans trouver d’accomplissement

Cette section est introduite par une question, puis composée de plusieurs affirmations sans réel lien entre elles. Il n’y a pas ici de cohérence thématique quant à ces affirmation ; la cohérence est due au fait qu’elles présentent toujours un inachèvement. Cela décrit un monde sous le soleil où tout se répète sans fin, sans jamais arriver à un accomplissement. Ce constat de la répétition rappelle que l’individu ne fait que passer sur terre (v. 4), mais que celle-ci demeure. Aussi, l’idée de permanence – ou du moins de durée – contraste avec la vie humaine qui ne dure qu’un temps.

L’absence d’achèvement dans ces images dit déjà quelque chose de la condition humaine : ces choses permanentes ne trouvant pas d’achèvement, cela pose la question de l’achèvement que trouvera l’individu qui ne vit qu’un temps. De plus, ce temps est déjà occupé par le travail, travail dont il ne lui reste rien, ou pas grand chose…

3 Quel profit y a-t-il pour l’homme
de tout le travail qu’il fait sous le soleil ?

Qo 1:3 Traduction oecuménique de la Bible

Littéralement, il faudrait traduire : « Que reste-t-il à l’humain de tout le travail qu’il travaille sous le soleil ? » En hébreu comme en grec, il y a une répétition avec la racine relative au travail (עמל et μόχθος), alors qu’un autre verbe n’aurait pas changé le sens de la question. Cela renforce l’idée de redondance, de travail qui se répète.

Posée ainsi, la question indique que la réponse ne relève pas de l’évidence. Si on considère que l’ouvrage date de l’époque hellénistique, une large partie du travail servait à payer les impôts, le tribut à la nation dominante ; aussi, celui qui travaillait ne profitait que peu du fruit de son travail.

Un dernier point à relever est qu’il s’agit du travail « sous le soleil », donc sur cette terre. Il n’y a ni référence ni exclusion quant à un au-delà ; c’est vraiment la condition humaine terrestre qui intéresse l’auteur.

4 Un âge s’en va, un autre vient,
et la terre subsiste toujours.

Qo 1:4 Traduction oecuménique de la Bible

Les générations se succèdent – et donc disparaissent –, mais la terre reste. L’humain ne fait que passer, mais l’endroit où il a vécu demeure après lui. Malgré la succession des générations, le lieu de la vie humaine reste, la condition humaine demeure.

5 Le soleil se lève et le soleil se couche,
il aspire à ce lieu d’où il se lève.

Qo 1:5 Traduction oecuménique de la Bible

La course du soleil indique un temps qui continue à s’écouler de la même manière. Ce qui est sous le soleil passe, mais la course du soleil continue, sans fin. Il n’y a pas de finalité, pas de terme.

6 Le vent va vers le midi et tourne vers le nord,
le vent tourne, tourne et s’en va,
et le vent reprend ses tours.

Qo 1:6 Traduction oecuménique de la Bible

Le vent va dans un sens, puis dans l’autre. Sa direction varie, et il semble ne pas y avoir de course bien définie. Le vent s’arrête puis reprend. Il y a ici une dimension d’imprévisibilité, avec pour seule constante que le vent ne disparaît jamais définitivement.

7 Tous les torrents vont vers la mer,
et la mer n’est pas remplie ;
vers le lieu où vont les torrents,
là-bas, ils s’en vont de nouveau.

Qo 1:7 Traduction oecuménique de la Bible

Littéralement : « Tous les fleuves vont à la mer, et la mer n’est pas pleine. Vers le lieu où les fleuves vont, là ils retournent pour aller [à la mer]. » Le verset est confus parce que le cycle de l’eau ne semble pas bien compris. Il y a un double constat : les fleuves continuent à couler et la mer n’est pas remplie. Logiquement, c’est donc que l’eau retourne à son lieu de départ pour que le fleuve continue à couler. La mécanique n’est pas claire, mais il y a une dimension de répétition, de quelque chose qui se perpétue sans fin, sans qu’il n’y ait d’achèvement.

8a Tous les mots sont usés, on ne peut plus les dire,

Qo 1:8a Traduction oecuménique de la Bible

Littéralement : « Toutes les paroles fatiguent – ou sont fatiguées – ; on ne peut plus les dire. » Elles sont répétées, mais sans jamais atteindre leur but. Elles sont vaines, mais continuent à être dites.

8b l’œil ne se contente pas de ce qu’il voit,
et l’oreille ne se remplit pas de ce qu’elle entend.

Qo 1:8b Traduction oecuménique de la Bible

Littéralement : « L’œil n’est pas rassasié de voir et l’oreille n’est pas pleine d’entendre. » Là encore, c’est la dimension d’inachèvement qui est mise en avant ; l’œil continue à voir et l’oreille à entendre, sans que cela ne mène à un accomplissement.

9 Ce qui a été, c’est ce qui sera,
ce qui s’est fait, c’est ce qui se fera :
rien de nouveau sous le soleil !
10 S’il est une chose dont on puisse dire :
« Voyez, c’est nouveau, cela ! »
– cela existe déjà depuis les siècles qui nous ont précédés.

Qo 1:9-10 Traduction oecuménique de la Bible

Le futur ne sera que répétition du passé ; les choses qui se sont produites sous le soleil continueront à se produire. Vraiment l’idée que dans cette vie terrestre sous le soleil, il ne peut rien arriver qui ne se soit pas déjà produit. Il y a une constance qui demeure sans fin.

11 Il n’y a aucun souvenir des temps anciens ;
quant aux suivants qui viendront,
il ne restera d’eux aucun souvenir
chez ceux qui viendront après.

Qo 1:11 Traduction oecuménique de la Bible

Littéralement : « Il n’y a pas de souvenir des temps du commencement ; quant aux temps qui suivront, il n’y aura d’eux aucun souvenir pour ceux qui les suivront. » Il n’y pas de mémoire du passé, si bien que rien ne demeure, même dans la mémoire. C’est ici simplement un constat, sans jugement de valeur de la part de l’auteur. Cela me semble indiquer que même l’espoir de laisser quoi que ce soit – action, parole, monument – pour que les générations futures s’en souviennent est vain. Il ne demeurera bien, si bien que l’humain n’a que sa vie.

Deux constats se croisent ici : d’un côté, rien ne subsiste alors que de l’autre, tout se répète sans fin. Les générations humaines se succèdent donc et chacune fait la même expérience d’une forme d’inachèvement puisque les mêmes cycles se répètent sans cesse. Alors que ces répétitions paraissent dénuées de sens, l’enjeu de l’ensemble de l’ouvrage est de mettre en avant la beauté et la pertinence de la vie.

1,12–2. Expérience de l’auteur

Ce passage présente la quête de l’auteur, puis les constats qu’il en tire. La dimension d’incarnation est ici centrale : l’auteur parle à partir de sa propre expérience et il ne fait “que” décrire ce qu’il voit. Le fait que l’auteur soit présenté comme roi explique comment il a pu expérimenter toutes les possibilités de l’existence humaine ; cela donne du poids à son expérience et donc à ses constats. L’auteur se contentant d’observer, sa description pourrait être partagée par n’importe qui faisant la même expérience. C’est donc un individu qui explore la condition humaine, la condition commune à tout individu.

1,12–2,11. Toutes les expériences débouchent sur la vanité

12 Moi, Qohéleth, j’ai été roi sur Israël, à Jérusalem.
13 J’ai eu à cœur de chercher et d’explorer par la sagesse
tout ce qui se fait sous le ciel.
C’est une occupation de malheur que Dieu a donnée
aux fils d’Adam pour qu’ils s’y appliquent.
14 J’ai vu toutes les œuvres qui se font sous le soleil ;
mais voici que tout est vanité et poursuite de vent.
15 Ce qui est courbé, on ne peut le redresser,
ce qui fait défaut ne peut être compté.

Qo 1:12-15

L’auteur se présente comme « ayant été » roi – le verbe est un accompli –, donc quelqu’un qui a eu les moyens de connaître l’ensemble des possibilités de la condition humaine. Il insiste d’ailleurs sur le fait qu’il est celui qui a poussé l’expérience le plus loin, plus loin que tous ses prédécesseurs à Jérusalem (1,16 et 2,7.9), ce qui signifie que son constat est d’autant plus crédible. Au final, ce constat est que chacune de ces expériences débouche sur la vanité. Malgré l’éventail de ses expériences, il n’a rien trouvé qui puisse demeurer, rien qui ne passe. Aussi, l’auteur juge que l’occupation que Dieu a donnée à l’humain est mauvaise : tout ce que l’individu peut faire sous le soleil, c’est courir après le vent ; rien de ce qu’il peut faire n’échappe à la vanité. Dieu donne des occupations, mais celles-ci ne permettent aucun achèvement, elles sont vanité. Le v. 15 présente ce constat comme incontestable : le défaut initial demeure. Il ne s’agit pas de savoir si cela peut techniquement être corrigé ; il y a un défaut – ici un constat négatif – qui ne peut être changé.

16 Je me suis dit à moi-même :
« Voici que j’ai fait grandir et progresser la sagesse
plus que quiconque m’a précédé comme roi sur Jérusalem. »
J’ai fait l’expérience de beaucoup de sagesse et de science,
17 j’ai eu à cœur de connaître la sagesse
et de connaître la folie et la sottise ;
j’ai connu que cela aussi, c’est poursuite de vent.
18 Car en beaucoup de sagesse, il y a beaucoup d’affliction ;
qui augmente le savoir augmente la douleur.

Qo 1:16-18 Traduction oecuménique de la Bible

L’auteur a fait grandir la sagesse plus que quiconque avant lui, pour en arriver à la découverte que la sagesse implique la souffrance. Au final, sagesse et souffrance croissent ensemble. Sa sagesse permet à l’individu de constater la condition humaine, mais sans pouvoir changer celle-ci. Aussi, la sagesse est finalement une prise de conscience de la souffrance. Même le fait de rechercher la sagesse et la faire grandir est poursuite du vent, donc vanité.

1 Je me suis dit en moi-même :
« Allons, que je t’éprouve par la joie, goûte au bonheur ! »
Et voici, cela aussi est vanité.
2 Du rire, j’ai dit : « C’est fou ! »
Et de la joie : « Qu’est-ce que cela fait ? »
3 J’ai délibéré en mon cœur
de traîner ma chair dans le vin
et tout en conduisant mon cœur avec sagesse,
de tenir à la sottise,
le temps de voir ce qu’il est bon pour les fils d’Adam
de faire sous le ciel
pendant les jours comptés de leur vie.

Qo 2:1-3 Traduction oecuménique de la Bible

L’auteur a expérimenté les plaisirs, mais pour finalement considérer le rire comme absurde et se demander ce que fait la joie. Autrement dit, ni le rire ni la joie ne demeurent, n’ont de valeur en soi ; les deux sont vanité.

La décision qu’il a prise présente une distinction entre le corps et l’intelligence. La chair vit avec le vin – on peut imaginer une consommation importante – alors que le cœur (siège de l’intelligence) est conduite avec sagesse. Tenir à la sagesse, sans renoncer à la folie – probablement le vin – tant qu’il n’aurait pas compris ce qui est bon pour les humains dans leur existence terrestre. Ainsi, il conserve la joie du corps, sans perdre la sagesse, sans cesser de la rechercher.

4 J’ai entrepris de grandes œuvres :
je me suis bâti des maisons, planté des vignes ;
5 je me suis fait des jardins et des vergers,
j’y ai planté toutes sortes d’arbres fruitiers ;
6 je me suis fait des bassins
pour arroser de leur eau une forêt de jeunes arbres.
7 J’ai acheté des esclaves et des servantes, j’ai eu des domestiques,
et aussi du gros et du petit bétail en abondance
plus que tous mes prédécesseurs à Jérusalem.
8 J’ai aussi amassé de l’argent et de l’or,
la fortune des rois et des Etats ;
je me suis procuré des chanteurs et des chanteuses
et, délices des fils d’Adam, une dame, des dames.
9 Je devins grand, je m’enrichis
plus que tous mes prédécesseurs à Jérusalem.
Cependant ma sagesse, elle, m’assistait.
10 Je n’ai rien refusé à mes yeux de ce qu’ils demandaient ;
je n’ai privé mon cœur d’aucune joie,
car mon cœur jouissait de tout mon travail :
c’était la part qui me revenait de tout mon travail.
11 Mais je me suis tourné vers toutes les œuvres
qu’avaient faites mes mains
et vers le travail que j’avais eu tant de mal à faire.
Eh bien ! tout cela est vanité et poursuite de vent,
on n’en a aucun profit sous le soleil.

Qo 2:4-11 Traduction oecuménique de la Bible

L’auteur a accompli de grands travaux, que ce soit dans le domaine agricole ou architectural. Il s’est aussi enrichi, accumulant davantage de serviteurs, de bétail et autres richesses que tous ses prédécesseurs, toujours en maintenant sa sagesse (renvoi à 2,3). Il ne s’est refusé aucun plaisir, mais en regardant toutes les choses accomplies, il affirme que ce n’est que vanité, poursuite du vent. Aussi, l’importance des œuvres ou des richesses ne changent rien à cette vanité, ne peuvent pas la rendre plus consistante. Tout cela ne change rien à la situation de l’individu sous le soleil.

Bien que l’auteur ait expérimenté la palettes des possibilités humaines, il est toujours renvoyé à la même vanité. Cela annonce un constat d’échec présenté dans la section suivante.

2,12-26. Bilan de ces expériences

12 Je me suis aussi tourné, pour les considérer,
vers sagesse, folie et sottise.
Voyons ! que sera l’homme qui viendra après le roi ?
Ce qu’on aura déjà fait de lui !

Qo 2:12 Traduction oecuménique de la Bible

Après avoir fait toutes ces expériences, l’auteur en fait un bilan. Il réfléchit sur la sagesse, la folie et la sottise (v. 12), qui ne sont que poursuite du vent (1,17), et se demande quelle sera la suite. La traduction joue ici un rôle important pour l’interprétation. Littéralement, la question est : « Comment/quoi l’homme qui viendra après le roi ? » L’absence de verbe permet différentes suppositions, mais la question est bien de savoir de savoir quel type d’homme sera le successeur, comment il régnera. Et la réponse est : « Ce qui a déjà été fait. » La seule affirmation est donc qu’il n’y aura rien de nouveau, mais encore une reproduction de choses passées. Dès lors, l’auteur est dessaisi du futur ; il ne peut rien y faire.

13 Voici ce que j’ai vu :
On profite de la sagesse plus que de la sottise,
comme on profite de la lumière plus que des ténèbres.
14 Le sage a les yeux là où il faut,
l’insensé marche dans les ténèbres.
Mais je sais, moi, qu’à tous les deux
un même sort arrivera.
15 Alors, moi, je me dis en moi-même :
Ce qui arrive à l’insensé m’arrivera aussi,
pourquoi donc ai-je été si sage ?
Je me dis à moi-même que cela aussi est vanité.
16 Car il n’y a pas de souvenir du sage,
pas plus que de l’insensé, pour toujours.
Déjà dans les jours qui viennent, tout sera oublié :
Eh quoi ? le sage meurt comme l’insensé !

Qo 2:13-16 Traduction oecuménique de la Bible

En présentant ce qu’il “voit”, l’auteur présente cela comme un constat et non comme une appréciation personnelle ou un jugement de valeur. N’importe qui ayant fait les mêmes expériences que lui ferait les mêmes observations, les mêmes constats.

Le premier constat est que la sagesse vaut mieux que la sottise ; elle est certes vaine mais peut être utile. Cependant, cette appréciation ne change rien au fait que le sage comme le fou mourront. La mort est ici présentée comme une limite indépassable : indépendamment de tout mérite ou de toute particularité, chacun connaîtra le sort commun qu’est la mort. La sagesse est profitable, mais n’évite en aucun cas ce dénouement. De plus, le sage comme le fou disparaîtront, seront oubliés, ce qui est une illustration de 1,11.

17 Donc, je déteste la vie,
car je trouve mauvais ce qui se fait sous le soleil :
tout est vanité et poursuite de vent.
18 Moi, je déteste tout le travail que j’ai fait sous le soleil
et que j’abandonnerai à l’homme qui me succédera.
19 Qui sait s’il sera sage ou insensé ?
Il sera maître de tout mon travail,
que j’aurai fait avec ma sagesse sous le soleil :
cela aussi est vanité.

Qo 2:17-19 Traduction oecuménique de la Bible

Lorsque l’auteur affirme « avoir haï » la vie (v. 17), le verbe est un accompli, ce qui peut indiquer une action passée ; il serait passé par une phase de haine, phase potentiellement révolue. Le constat de la vanité provoque un rejet de la vie, mais une fois le constat passé un autre cheminement pourrait alors s’ouvrir. Cette haine est compréhensible : tout est vanité et poursuite de vent, l’individu n’a rien à quoi se raccrocher. De même, il a haï (v. 18) tout ce qu’il a pu accomplir sous le soleil ; il laissera cela à son successeur sans en retirer le moindre bénéfice, la moindre assurance pour lui-même. De plus, impossible de savoir ce que le successeur fera comme roi ; là encore, rien à quoi se raccrocher. Ce qui provoque la haine et le rejet est bien que la vanité est sans consistance, sans permanence, et donc qu’elle ne donne aucune sécurité face à la mort, ou pour ce qui sera après la mort de l’individu.

20 J’en suis venu à me décourager
pour tout le travail que j’ai fait sous le soleil.
21 En effet, voici un homme qui a fait son travail
avec sagesse, science et succès :
C’est à un homme qui n’y a pas travaillé
qu’il donnera sa part.
Cela aussi est vanité et grand mal.
22 Oui, que reste-t-il pour cet homme
de tout son travail et de tout l’effort personnel
qu’il aura fait, lui, sous le soleil ?
23 Tous ses jours, en effet, ne sont que douleur,
et son occupation n’est qu’affliction ;
même la nuit, son cœur est sans repos :
cela aussi est vanité.

Qo 2:20-23 Traduction oecuménique de la Bible

Un individu accomplit un travail avec sagesse et un autre en hérite, sans avoir pris part à ce travail. L’individu réalise un travail dont il ne bénéficie pas pleinement, ce qui rejoint la première question de 1,3. Pour accomplir les belles choses, son occupation aura été dans la souffrance, pour que finalement ce soit un autre qui en profite. L’auteur se demande à quoi bon avoir accompli tout cela mais ne donne aucune réponse.

24 Rien de bon pour l’homme, sinon de manger et de boire,
de goûter le bonheur dans son travail.
J’ai vu, moi, que cela aussi vient de la main de Dieu.
25 « Car qui a de quoi manger, qui sait jouir, sinon moi ? »

Qo 2:24-25 Traduction oecuménique de la Bible

Le second constat est que tout les efforts étant finalement vanité, la seule bonne chose est de manger, boire, goûter au bonheur dans son travail. Littéralement, la traduction est : « Il n’y a rien de bon pour l’humain, sinon qu’il mange et boive et montre son esprit bon dans son labeur, car moi je vois que cela vient de la main de Dieu. » La mention du labeur peut être interprétée diversement : la joie qu’on peut trouver dans le travail ou les fruits qu’il apporte. La meilleure interprétation me semble être que le travail permet de subvenir aux besoins physiologiques. Le v. 25 présentent différentes conclusions à ce second constat, selon que l’on suit la LXX ou le THB.

  • Texte hébreu : « Car qui mangera et qui jouira sinon moi ? » Cela suggère qu’étant roi, l’auteur peut profiter de manger et se réjouir à volonté.
  • Texte grec : « Car qui mangera et qui épargnera si ça ne vient de lui ? » Cela met l’accent sur le don de Dieu ; Dieu qui donne à manger et à boire.

26 Oui, il donne à l’homme qui lui plaît sagesse, science et joie, mais au pécheur il donne comme occupation de rassembler et d’amasser, pour donner à celui qui plaît à Dieu. Cela aussi est vanité et poursuite de vent.

Qo 2:26 Traduction oecuménique de la Bible

Le v. 26 conclut cela en affirmant le don de Dieu : Dieu donne sagesse, connaissance et joie à celui qui est bon devant lui. Et à celui qui est impur, il donne une occupation pénible (recueillir et amasser) pour que le résultat de ce travail soit donné à celui qui est bon devant Dieu. Celui qui est impur devant Dieu ne jouit pas des fruits de son travail, si bien qu’il fait l’expérience de la vanité.

Il y a ici une dimension de rétribution surprenante, mais qui peut amener une autre lecture : celui qui est pur devant Dieu serait celui qui accueille ce qu’il a comme étant don de Dieu, ce qui irait dans le sens du v. 25 en grec. La pureté ou l’impureté découle alors de l’attitude plutôt que de la décision arbitraire de Dieu. Celui qui se réjouit de pouvoir profiter de son travail accueille cela comme un don de Dieu et celui qui ne se réjouit pas bloque sur le constat que c’est un autre qui jouit de son travail.

Conclusion aux chapitres 1-2

Cette première quête de l’auteur se termine par un échec ; malgré toutes son expérience, malgré son intelligence, il ne trouve rien de solide, rien qui puisse lui assurer une réelle sécurité. La réponse est donc à rechercher ailleurs, mais où ? C’est ce que la suite du livre explore.

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Nicolas Merminod

Nicolas est pasteur dans l’Église réformée vaudoise dans la paroisse du Jorat. Membre du Care Team Vaud, il fait du soutien psychologique d’urgence sur mandat de la gendarmerie vaudoise. Dans un  registre plus léger, il profite des largesses du temps (météorologique et temporel) pour aller grimper.

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