Cet article propose un commentaire des chapitres 5,9-7,14 du livre de Qohélet / Ecclésiaste, de la main de Nicolas Merminod.
Table des matières
5:9–7:14. L’humain demeure insatisfait
En 1,12-2, l’auteur présente son propre cheminement vers la sagesse et son expérience de la vanité de toutes choses ; ce questionnement est repris ici plus largement.
Il ne s’agit pas ici de la quête d’un individu, mais vraiment des limites des possibilités humains. Malgré tous ses efforts, l’humain conserve un désir insatiable, un vide qui ne peut pas être comblé. Il ne peut jamais trouver une assurance absolue et est donc toujours renvoyé à lui-même, sans point de repère qui soit fixe et sûr.
5:9–6:2. L’accumulation de richesses ne comble pas l’humain
Ce passage présente une réflexion sur l’accumulation des biens et la possibilité d’en jouir, l’auteur rappelant que la seule accumulation n’apporte pas de satisfaction suffisante.
Bien que traitant d’une même thématique, cette section comprend plusieurs ensembles ; il y a un constat initial sur la vanité des richesses, suivi de deux développements où l’auteur reprend sa position d’observateur de ce qui advient « sous le soleil ».
9 Qui aime l’argent ne se rassasiera pas d’argent,
Qo 5:9-11 Traduction Oecuménique de la Bible
ni du revenu celui qui aime le luxe.
Cela est aussi vanité.
10 Avec l’abondance des biens abondent ceux qui les consomment,
et quel bénéfice pour le propriétaire,
sinon un spectacle pour les yeux ?
11 Doux est le sommeil de l’ouvrier,
qu’il ait mangé peu ou beaucoup ;
mais la satiété du riche, elle, ne le laisse pas dormir.
(I) La richesse ne comble pas l’individu. L’humain accumule les richesses et peut admirer ce qu’il a accumulé, mais sans que cela ne puisse pour autant le combler. Aussi, la richesse est vanité ; elle ne lui donne strictement aucune sécurité, ni réelle satisfaction : l’ouvrier trouve un sommeil doux – notamment la fatigue du travail – qu’il ait mangé à satiété ou non, alors que la satiété n’assure pas le sommeil du riche. Ici encore, l’auteur use d’ironie pour affirmer que l’ouvrier – celui qui n’est pas dans la satiété – est davantage comblé que le riche.
12 Il y a un mal affligeant que j’ai vu sous le soleil :
Qo 5:12-19 Traduction Oecuménique de la Bible
la richesse conservée par son propriétaire pour son malheur.
13 Cette richesse périt dans une mauvaise affaire ;
s’il engendre un fils, celui-ci n’a plus rien en main.
14 Comme il est sorti du sein de sa mère,
nu, il s’en retournera comme il était venu :
il n’a rien retiré de son travail
qu’il puisse emporter avec lui.
15 Et cela est aussi un mal affligeant
qu’il s’en aille ainsi qu’il était venu :
quel profit pour lui d’avoir travaillé pour du vent ?
16 De plus, il consume tous ses jours dans les ténèbres ;
il est grandement affligé, déprimé, irrité.
17 Ce que, moi, je reconnais comme bien, le voici :
il convient de manger et de boire,
de goûter le bonheur dans tout le travail
que l’homme fait sous le soleil,
pendant le nombre des jours de vie que Dieu lui donne,
car telle est sa part.
18 De plus, tout homme à qui Dieu donne richesse et ressources
et à qui Il a laissé la faculté d’en manger,
d’en prendre sa part et de jouir de son travail,
c’est là un don de Dieu ;
19 non, il ne songe guère aux jours de sa vie,
tant que Dieu le tient attentif à la joie de son cœur.
(II) L’individu quitte le monde sans les richesses accumulées. L’auteur reprend ici la position d’observateur : il constate simplement ce qui se produit « sous le soleil ». L’abondance ne donne aucune sécurité au-delà de la vie terrestre sous le soleil et génère même du malheur. Les richesses accumulées pouvant être perdues dans une mauvaise affaire, non seulement le riche ne retire rien de son travail et quitte le monde aussi démuni – littéralement “nu” – qu’il y est né, mais en plus, il ne laisse rien à son successeur. Tout le travail accompli pour accumuler cette richesse finalement perdue est poursuite du vent. À cette précarité s’ajoute la frustration d’avoir perdu la richesse, ce qui est finalement pire que la précarité initiale. Au final, c’est encore pire de perdre ses richesses que de n’en avoir jamais accumulées.
Par opposition à cette frustration de la richesse perdue, l’auteur reprend le refrain de jouir des biens disponibles qui sont des dons de Dieu (Qo 2:24 et Qo 3:12-13). Tant que l’individu peut se réjouir de ces dons, rester attentif à ces joies que Dieu lui donne, il peut jouir de la vie. Il y a davantage de joie à accueillir cela qu’à accumuler des richesses qui n’apportent aucune sécurité, qui peuvent être perdues d’un coup et qui ne sont finalement que poursuite du vent et vanité.
1 Il y a un mal que j’ai vu sous le soleil,
Qo 6:1-2 Traduction Oecuménique de la Bible
et il est immense pour l’humanité.
2 Soit un homme à qui Dieu donne richesse, ressources et gloire,
à qui rien ne manque pour lui-même de tout ce qu’il désire,
mais à qui Dieu ne laisse pas la faculté d’en manger,
car c’est quelqu’un d’étranger qui le mange :
cela aussi est vanité et mal affligeant.
(III) Le malheur de ne pas jouir des biens disponibles. Un malheur est d’accumuler des richesses et de les perdre, un autre malheur est de les recevoir de Dieu, mais de pas pouvoir en jouir. Le texte affirme simplement que s’il donne ces biens, « Dieu ne lui a pas autorisé d’en manger ». La cause de l’empêchement d’en jouir n’est pas précisée ce qui laisse différentes interprétations possibles :
- Accumuler des richesses et en jouir sont deux choses distinctes, alors tant que je les accumule, je n’en jouis pas. Aussi, c’est un autre qui pourra jouir de ces richesses accumulées, et non celui qui a travaillé à les accumuler, ce qui rejoint Qo 2:18. Bien que possible, cette interprétation n’est pas immédiatement soutenue par le texte.
- Dans Qo, Dieu est toujours celui qui donne et ce don a une dimension arbitraire. Aussi, Dieu a bien pu donner la richesse, mais sans donner la possibilité d’en jouir. Bien que problématique, cette option me semble la meilleure.
Le rôle de Dieu me semble ici flou : Qo n’insiste pas sur ce que Dieu ne donne pas – ce dont il priverait l’humain –, mais appelle l’humain à se réjouir de ce que Dieu donne. Le centre de l’ouvrage étant vraiment l’attitude de l’individu dans l’insécurité de son existence, ces deux options me semblent se rejoindre. Dans les deux cas, l’affirmation centrale est bien que même la possession de richesses est vanité dans la mesure où celui qui les possède n’en jouit pas nécessairement.
6:3-6. Illusion de la descendance nombreuse
L’auteur dénonce ici encore une fausse sécurité : celle de la descendance nombreuse, considérée comme un signe de bénédiction dans le proche orient ancien (POA).
Aussi nombreuse que soit la descendance, elle n’assure aucune sécurité à l’individu si ses enfants ne s’occupent pas de lui. Aussi longue que soit sa vie – attribut de la sagesse dans le POA –, l’individu ne profite en rien de sa descendance si celle-ci ne s’occupe pas de lui, ce qui est un élément du Décalogue (Ex 20:12 et Dt 5:16). Le respect des parents implique de leur assurer une sépulture, alors si celle-ci n’est pas réalisée, la descendance nombreuse n’a rien de la bénédiction. Au final, si le commandement n’est pas appliqué, celui qui est mort-né est plus heureux. Le mort-né n’a pas connu l’existence sous le soleil et ne connaît donc que le repos alors que celui qui a une descendance nombreuse mais pas de sépulture a connu le travail sous le soleil mais sans rien en retirer. Au final, peu importe la durée de la vie, elle n’est pas consistante – littéralement “bonne” – s’il n’y a pas une descendance qui assure une sépulture au défunt.
3 Soit un homme qui engendre cent fois
Qo 6:3-6 Traduction Oecuménique de la Bible
et vit de nombreuses années,
mais qui, si nombreux soient les jours de ses années,
ne se rassasie pas de bonheur
et n’a même pas de sépulture.
Je dis : L’avorton vaut mieux que lui,
4 car c’est en vain qu’il est venu
et il s’en va dans les ténèbres,
et par les ténèbres son nom sera recouvert ;
5 il n’a même pas vu le soleil et ne l’a pas connu,
il a du repos plus que l’autre.
6 Même si celui-ci avait vécu deux fois mille ans,
il n’aurait pas goûté le bonheur.
N’est-ce pas vers un lieu unique que tout va ?
Deux points sont ici à relever. Un point est que la représentation de la mort est celle du Shéol, un lieu qui n’est pas décrit mais qui est la destination unique des morts et qui est un lieu de repos. Le second point est que cette destination étant la même pour tous, rien n’évite à l’individu d’y aller à son tour. Rien n’empêche cela, donc tout est vanité. L’auteur critique d’autant plus tout ce qui est considéré comme bénédiction puisque cela ne change rien à la destination finale de chacun. Au contraire, le fait d’avoir des bénédictions mais de ne pas pouvoir en profiter – comme la richesse en Qo 6:1-3 –, ou de le perdre – comme en Qo 5:12-15 – n’engendre au final qu’une plus grande frustration (Qo 5:16), frustration qu’ignore celui qui n’a pas connu ces bénédictions, qui n’a rien accumulé.
Cela renforce une lecture pessimiste puisque l’auteur suggère qu’il vaut mieux ne pas vivre que de tout perdre. Toutefois, une lecture plus positive est ici possible : nous pouvons y voir une invitation à jouir des bénédictions là où Dieu les donne plutôt que de les chercher là où nous les attendons. La finalité de l’auteur semble être d’ouvrir les lecteurs à la liberté, de les libérer de leurs œillères.
6:7-12. L’individu demeure insatisfait
Ce passage présente l’humain comme un être fondamentalement insatisfait ; quoi qu’il fasse, il ne peut jamais combler un manque, une forme de vide.
7 Tout le travail de l’homme est pour sa bouche,
Qo 6:7-9 Traduction Oecuménique de la Bible
et pourtant l’appétit n’est pas comblé.
8 En effet, qu’a de plus le sage que l’insensé,
qu’a le pauvre qui sait aller de l’avant face à la vie ?
9 Mieux vaut la vision des yeux que le mouvement de l’appétit :
cela est aussi vanité et poursuite de vent.
Les vv. 7-9 sont difficiles à traduire, surtout que la traduction influence fortement l’interprétation. La meilleure traduction me semble être : « (7) Tout le labeur de l’humain est pour la bouche, et pourtant, l’esprit n’est pas comblé. (8) Que reste-t-il au sage par rapport à l’insensé ? Et qu’en est-il du pauvre qui sait aller devant les vivants ? (9) Mieux vaut la vision des yeux que le mouvement de l’esprit, car cela est vanité et poursuite du vent. » Cette traduction nécessite plusieurs précision :
- Au v. 8, la LXX((Traduction de l’Ancien Testament en grec)) parle d’aller « à l’encontre de la vie », ce qui signifierait que l’individu se positionne sans rester passif, sans laisser la vie – les circonstances – décider pour lui.
- Le terme “esprit” traduit נפשׁ((prononcé « nephesh)) et ψυχὴ((prononcé « psuké »)) qui désigne l’esprit humain dans le sens de l’être, le souffle de vie. Au niveau de la signification, ce terme est très proche de “vent” qui traduit רוח et πνεῦμα qui signifie aussi l’esprit, qui peut désigner l’esprit de Dieu dans les textes bibliques. Cependant, l’expression « poursuite du vent » étant récurrente dans Qo – 8x dans la LXX et 7x dans le THM((“Texte Hébreux Massorétique” : Il s’agit du texte de l’Ancien Testament en hébreu faisant autorité qui sert de base à la traduction de la majorité des bibles)) –, il ne semble pas y avoir de double-sens ici, malgré la proximité des termes.
L’humain travaille pour se nourrir, mais sans jamais être comblé ; il y a un appétit qui demeure, un vide qui n’est jamais comblé. Cela correspond au terme psychologique de vide existentiel, de ce vide que les réalités matériels et même relationnels ne peuvent pas combler. La sagesse n’évite pas de ressentir ce vide, si bien que là encore, le sage n’a pas d’avantage sur l’insensé. Idem pour le pauvre qui prend une part active et assume un rôle d’acteur de sa propre vie, sans s’en remettre à la fatalité. Le sage comme ce pauvre sont vus positivement, mais cela ne leur confère pas d’avantage pour autant.
Le v. 9 paraît polémique, avec un accent sur la matériel. Pourtant, il me paraît très pragmatique : le désir pour ce que voient les yeux peut être comblé alors que le désir qui suit les mouvements de l’esprit ne peut pas être comblé et souligne le vide insatiable que connaît l’humain. Pour l’auteur, même combler ce désir relève de la vanité et de l’illusion, si bien que la question ne porte plus sur le moyen de combler ce vide mais sur l’attitude qui permettrait de vivre avec.
10 Ce qui a été a déjà reçu un nom
Qo 6:10 Traduction Oecuménique de la Bible
et on sait ce que c’est, l’homme ;
mais il ne peut entrer en procès
avec plus fort que lui.
Le v. 10 présente un jeu de mot : « Ce qui a été a déjà été appelé de son nom, et on sait ce qu’est l’humain et qu’il n’est pas capable de juger ce qui est au-delà de lui. » La LXX met « ce qui est plus puissant que lui », ce qui revient au même. L’humain est ici désigné en hébreu par le terme אדם, nom du premier humain. On peut ici voir le jeu de mot de Gn 2:7, l’humain – אדם((prononcé « adam »)) – recevant son nom du sol – אדמה((prononcé « adama »)) – à partir duquel il est créé. L’humain venant du sol, il ne peut juger ce qui est au-delà – on peut aussi comprendre au-dessus – de lui. De par son nom, l’humain est ramené à la vie sous le soleil, incapable de comprendre et savoir ce qui est au-delà de cette vie et n’ayant finalement rien d’autre que le moment présent.
11 Quand il y a des paroles en abondance,
Qo 6:11 Traduction Oecuménique de la Bible
elles font abonder la vanité :
qu’est-ce que l’homme a de plus ?
On retrouve au v. 11 une critique de l’abondance de parole (comme en 5,2), les paroles nombreuses impliquant la vanité. Cela réaffirme donc le sérieux de la parole, l’importance de ne pas en user en vain. Ici, la vanité est vraiment à comprendre comme inutilité ; l’humain peut bien parler beaucoup, mais il n’en retire rien qui puisse changer sa situation sous le soleil.
12 En effet, qui sait ce qui est le mieux pour l’homme pendant l’existence,
Qo 6:12 Traduction Oecuménique de la Bible
pendant les nombreux jours de sa vaine existence
qu’il passe comme une ombre ?
Qui indiquera donc à l’homme
ce qui sera après lui sous le soleil ?
Le v. 12 met en avant la dimension de l’interpellation : « Car qui sait ce qu’il y a de bon pour l’humain dans sa vie, de la quantité de jours de sa vie vaine qu’il fait comme une ombre ? Qui annoncera à l’humain ce qui sera après lui sous le soleil ? » La manière de comprendre les questions est délicate : s’agit-il de questions rhétoriques dont la réponse est “personne” ou de questions laissant une réelle ouverture et dont la réponse peut être “Dieu” ? La première interprétation me paraît meilleure, Qo insistant sur l’absence de repères sûrs pour l’humain et la seule parole prise en compte est celle de l’humain – et devant Dieu – et non de la parole de Dieu. Dans tous les cas, cela souligne les limites de l’humain puisqu’il est incapable de répondre par lui-même à ces questions. La deuxième partie du verset affirme l’incertitude par rapport au futur, et donc par rapport au présent : ne sachant pas ce qui sera dans le futur, impossible de savoir ce qui est bon aujourd’hui. On revient ici à l’individu qui ignorant le passé comme le futur n’a que son présent. Cela renforce le v. 11 : avec une telle ignorance, aucune parole sûre ne peut être dite, et des paroles nombreuses ne peuvent donc pas être pertinentes. Trop d’ignorance pour dire une parole sûre, d’où l’appel à ne pas multiplier les paroles vaines.
Dieu apparaît comme celui qui donne, celui qui est au-delà des réalités humaines, mais surtout comme celui qui est insaisissable. Aussi, l’humain peut vouloir se référer à lui, mais cela ne lui apporte pas de sécurité. Il est donc toujours renvoyé à son incertitude avec pour invitation d’en tirer le meilleur, de vivre dans cette réalité. La perspective se rapproche de l’épicurisme puisque les joies possibles et raisonnables valent mieux que les grandes joies inatteignables.
7:1-14. Vivre le présent en ignorant le dénouement futur
Cette section forme une unité en questionnant l’humain sur son rapport au temps, en développant à partir de la question de Qo 6:12 qui suggère que ne sachant pas ce qui suivra, l’humain est incapable de savoir ce qui est bon pour lui.
Aussi, son rapport au temps est complexe : le dénouement est le plus important car il fait découvrir l’agencement de ce qui précède, mais l’humain ignore tout de ce dénouement. L’individu est donc pris dans une tension : il sait que le plus important est l’achèvement, mais ne connaît pas le futur, ne connaît pas le dénouement. Il doit viser le dénouement, mais ne sait pas où viser, que viser. Cette ignorance du futur ne laisse à l’individu que le présent : accueillir la joie et dans le malheur, accepter justement qu’il ne connaît pas le dénouement (Qo 7:14).
7:1-9. L’achèvement vaut mieux que le commencement
Tout cette section repose sur l’idée que la fin de toute chose vaut mieux que le début (v. 8), parce que ce n’est qu’une fois une chose achevée que l’on peut connaître de sa valeur. C’est une manière de dire que le plus important n’est pas le futur potentiel – celui est vain s’il n’est pas réalisé –, mais le passé effectif. Cette idée implique une conséquence : il est impossible de juger du moment du présent puisqu’il participe à une chose encore inachevée. Ignorant le futur, l’individu demeure dans l’incertitude, sans savoir comment agir. Ainsi, l’individu est pris dans cette incertitude, et agit en fonction de la fin qu’il espère, sans savoir si elle se réalisera.
Les comparaisons n’ont pas de valeur absolue ; il ne s’agit pas de dire qu’une chose serait toujours bonne et l’autre toujours mauvaise ; par exemple au v. 3, l’irritation vaut mieux que la dérision, mais elle clairement critiquée au v. 9. Au fond, les deux sont éléments comparés sont vains, mais pour différentes raisons – pas toujours explicitées –, l’un vaut mieux que l’autre. Aussi, les comparaisons sont brièvement développées afin d’expliquer – excepté la première – en quoi le premier élément vaut mieux que le second.
Le cœur revient de manière récurrente dans ce passage. Il est à comprendre comme le siège de l’intelligence, car siège des émotions. Aussi, il désigne bien l’individu dans son ensemble, ou du moins dans toute sa dimension intellectuelle.
1 Mieux vaut le renom que l’huile exquise,
Qo 7:1 Traduction Oecuménique de la Bible
et le jour de la mort que le jour de la naissance.
« Mieux vaut un nom que le bon parfum » Il y a ici un jeu de mot en hébreu, le nom s’écrivant שׁם((« prononcé « shem »)) et le parfum שׁמן((prononcé « shemen »)), soit avec juste une lettre de plus. Cette comparaison paraît simple : une fois le parfum ouvert, l’odeur disparaît rapidement. Le nom – ici à comprendre au sens de renommée – est meilleur dans la mesure où il dure plus longtemps, où il disparaît moins vite. Cependant, même si la renommée vaut mieux, ce n’est que relative, celle-ci n’étant pas éternelle.
« et le jour de la mort que le jour de sa naissance. » Le jour de la naissance, il n’y a que du potentiel, et rien de réalisé. Aussi, c’est bien le jour de la mort qui permet de connaître la valeur – plutôt le sens – d’une vie. Un point surprenant est que la différence des articles – différence confirmée en grec et en hébreu – : la mort, mais sa naissance. Cependant, cette différence ne me paraît pas impliquer d’enjeu particulier.
2 Mieux vaut aller à la maison de deuil
Qo 7:2 Traduction Oecuménique de la Bible
qu’à la maison du banquet ;
puisque c’est la fin de tout homme,
il faut que les vivants y appliquent leur cœur.
« Mieux vaut aller à une maison de deuil qu’aller à une maison de banquet puisque c’est la fin de tout humain et le vivant donne à son cœur. » Là encore, c’est l’achèvement qui importe et non les étapes du déroulement. Aussi, la maison de deuil étant la fin de chacun, elle vaut mieux que les diverses joie.
Les derniers mots sont délicats, « et celui qui vit donne à son cœur ». Le cœur étant compris comme le siège de l’intelligence, il faut probablement comprendre que le vivant médite cela. Bref, l’auteur appelle à vivre en étant conscient de sa mortalité.
3 Mieux vaut le chagrin que le rire,
Qo 7:3-4 Traduction Oecuménique de la Bible
car sous un visage en peine, le cœur peut être heureux ;
4 le cœur des sages est dans la maison de deuil,
et le cœur des insensés, dans la maison de joie.
« Mieux vaut l’irritation que la dérision, car dans un visage triste, le cœur est bon ; le cœur des sages est dans une maison de deuil et le cœur des insensés dans une maison de joie. » La dérision est ici le fait de rire de quelque chose, de tourner les choses en dérision. Aussi, la dérision donne une apparence de joie, mais celle-ci peut être creuse. À l’opposé, l’irritation n’indique aucune joie, mais surtout aucune comédie. La dérision cache – ou dénonce – une situation difficile alors que les difficultés provoquant l’irritation ne peuvent pas empêcher le cœur d’être bon.
L’expression de maison du deuil est la même qu’au v. 2 ; on retrouve les mêmes mots dans le texte hébreu comme le grec. On peut donc supposer que la conscience de la mortalité est présente. Plus fondamentalement, le v. 4 présente surtout une opposition entre deux positionnement : les sages qui réfléchissent à leur mortalité et les insensés qui recherchent la joie. Même si la joie est agréable, elle ne fait cependant pas grandir la sagesse. Aussi, même en l’absence de joie, n’empêche pas que le cœur – désignant ici l’individu – soit bon. Pour l’auteur, le fait d’être bon est sans lien avec la recherche de la joie.
5 Mieux vaut écouter la semonce du sage,
Qo 7:5-7 Traduction Oecuménique de la Bible
qu’être homme à écouter la chanson des insensés.
6 Car, tel le pétillement des broussailles sous la marmite,
tel est le rire de l’insensé.
Mais cela aussi est vanité,
7 que l’oppression rende fou le sage
et qu’un présent perde le cœur.
« Mieux entendre une réprimande d’un sage que la chanson que chante un homme insensé » En hébreu comme en grec, le même verbe peut être traduit par écouter ou entendre, et il ne me semble pas y avoir ici de grand enjeu pour une traduction ou l’autre. Je préfère entendre dans la mesure où l’auteur présente ici des constats sans adresser d’impératif au lecteur. Aussi, le lecteur n’est pas appelé à écouter, mais invité à comprendre ce qu’il vaut mieux entendre. Une difficulté de traduction est le dernier mot : alors que “homme” est au singulier, “insensé” est en réalité un pluriel, et cette difficulté est présente en hébreu comme en grec.
« car comme le bruit des épines sous la marmite, ainsi est la dérision de l’insensé, et cela aussi est vanité. » La “dérision” est le même mot qu’au v. 3, et c’est bien cet humour qui est ici critiqué. Le bruit indique que le repas duit dans la casserole, mais la mention des épines indique qu’il n’y a rien de bon à manger. Aussi, l’humour de l’insensé paraît agréable mais n’apporte rien de bon. Un tel humour est considéré comme vanité.
« L’oppression rend fou un sage et un cadeau détruit le cœur. » Le sage n’est pas incorruptible, un cadeau peut le détourner et détruire son cœur, ou alors l’oppression peut le rendre fou. Ainsi, même le sage n’est pas à l’abri de l’égarement.
8 Mieux vaut l’aboutissement d’une chose que ses prémices,
Qo 7:8-9 Traduction Oecuménique de la Bible
mieux vaut un esprit patient qu’un esprit prétentieux.
9 Que ton esprit ne se hâte pas de s’irriter,
car l’irritation vit au cœur des insensés.
« Mieux vaut l’aboutissement d’une chose que son commencement » Cette phrase résume l’idée centrale de cette section ; ce n’est qu’à la fin que l’on connaît les choses, au moment où tout est devenu effectif, où le potentiel est épuisé.
« Mieux vaut un esprit long qu’un esprit haut. » La LXX parle d’un esprit longanime, alors que le terme hébreu indique la longueur dans un sens géométrique. L’esprit long peut être compris comme patient – ce que peut confirmer la notion de hâte au v. 9 – et le haut comme prétentieux – ce qui ne trouve pas d’appui textuel –, mais l’enjeu me semble ailleurs. L’esprit long est en contact avec le monde alors que l’esprit haut n’a que sa base comme point de contact. Aussi, l’esprit long est davantage confronté au monde que l’esprit haut.
« Ne te hâte pas dans ton esprit pour t’irriter, car l’irritation réside parmi les insensés. » On retrouve ici l’irritation du v. 3, mais considérée uniquement de manière négative. L’idée que le sage ne s’irrite pas, ce qui renforce l’idée de l’esprit long (v. 8) comme esprit patient, qui persévère dans la longueur.
7:10-14. La sagesse et le rapport au temps
Cette section est construite en trois parties : une question qui ne découle pas de la sagesse (v. 10) qui reçoit deux éclaircissements :
- Un développement sur les avantages de la sagesse (vv. 11-12) qui amène à comprendre qui permet de comprendre que la question ne découle pas de la sagesse.
- Une réponse (vv. 13-14) qui ne répond pas à la question mais redirige vers ce qui est profitable.
L’auteur part d’une question probablement connue pour amener le lecteur à comprendre l’inutilité de la question et le réorienter de manière bénéfique pour son propre cheminement.
10 Ne dis pas : Comment se fait-il
Qo 7:10 Traduction Oecuménique de la Bible
que les temps anciens aient été meilleurs que ceux-ci ?
Ce n’est pas la sagesse
qui te fait poser cette question.
La sagesse est profitable à ceux qui vivent sous le soleil (v. 11) et elle préserve ceux qui la possèdent (v. 12). Aussi, ce qui ne va pas dans ce sens n’est pas sagesse. La question du v. 10 – « Pourquoi les jours des commencements ont-ils été meilleurs que ceux-ci ? » – n’est pas considérée comme juste ou fausse, mais simplement comme inutile ; quelle que soit la réponse, celle-ci ne sera pas profitable.
11 La sagesse est bonne comme un héritage ;
Qo 7:11-12 Traduction Oecuménique de la Bible
elle profite à ceux qui voient le soleil :
12 Car être à l’ombre de la sagesse,
c’est être à l’ombre de l’argent,
et le profit du savoir,
c’est que la sagesse fait vivre ceux qui la possèdent.
La traduction des versets 11-12 est délicate : « La sagesse est bonne avec un héritage et profitable à ceux qui voient le soleil, car à l’ombre de la sagesse, à l’ombre de l’argent. La connaissance est profitable, la sagesse préserve ceux qui la possèdent. » La sagesse bonne avec un héritage semble ne pas faire sens puisqu’il n’y a pas de lien évident entre ces éléments. Une traduction du type « aussi bonne qu’un héritage » me paraît difficile dans la mesure où en hébreu comme en grec il n’y a strictement aucune indication de comparaison.
Ces versets présentent un jeu entre la sagesse et l’argent, et tous deux sont présentés comme positifs. En hébreu, « à l’ombre » – בצל((prononcé « betsel »)) – est connoté positivement ; c’est associé à l’abri, la protection. Aussi, la sagesse et l’argent amènent une protection. Les avantages de l’argent paraissent évidents, l’argent permettant l’accès aux biens de nécessité comme à ceux de confort ; il n’y a pas de jugement moral, uniquement un constat pragmatique. Le jeu présente ici la sagesse comme aussi profitable que l’argent ; tout comme il vaut mieux avoir de l’argent que d’en manquer, il vaut mieux avoir la sagesse que d’en manquer. Le sage qui reçoit un héritage a alors tous les avantages : sa sagesse le préserve des erreurs et son argent le préserve du besoin.
Ces vv. 11-12 peuvent être compris comme une critique de toute approche qui minimiserait les avantages de la richesse.
13 Regarde l’œuvre de Dieu :
Qo 7:13-14 Traduction Oecuménique de la Bible
Qui donc pourra réparer ce qu’Il a courbé ?
14 Au jour du bonheur, sois heureux,
et au jour du malheur, regarde :
celui-ci autant que celui-là, Dieu les a faits
de façon que l’homme ne puisse rien découvrir
de ce qui sera après lui.
Les vv. 13-14 répondent à la question du v. 10. Ou plutôt, elles ne répondent pas mais exposent l’inutilité de la question. Répondre à la question ne peut rien amener de bénéfique, alors l’auteur n’y répond pas non plus, se contentant de quelques affirmations :
- Ce que Dieu a fait ne peut pas être changé. La question du v. 13 est à comprendre comme rhétorique ; elle présente sous forme interrogative ce que 1,15 présente comme affirmation.
- L’humain ne peut rien savoir de ce qui sera après lui. Cela signifie qu’il n’a que son présent : accueillir joyeusement le bonheur, et accueillir le malheur en reconnaissant son ignorance.
Dans les jours de joie, l’individu est invité à simplement être joyeux. Dans les jours de malheurs, il est invité à observer et comprendre qu’il ne sait rien de la suite. Les occasions de joie comme de tristesse sont donnés par Dieu, et la seule attitude sage est d’accueillir les premiers avec joie et d’accueillir les seconds en reconnaissant son ignorance quant à ce qui suivra. Cela ouvre à l’optimisme : peut-être que des jours de malheurs découlera du positif.
Ping : Qohélet – Introduction au commentaire • Theologus