Cet article propose une recension de l’ouvrage du théologien britannique N. T. Wright, « Surpris par l’espérance », Charols, Excelsis, Coll. Sel & Lumière, 2019. Ce livre a été traduit par Jonathan Hanley en 2019. Le titre en anglais est « Surprised by Hope ». Il a été publié à Londres par la Society for Promoting Christian Knowledge (SPK) en 2011.
Table des matières
Pourquoi lire cet ouvrage ?
Cet ouvrage est un vrai « antidote » dans ce temps morose de pandémie. L’espérance dans l’optique de l’auteur n’est pas une fuite hors de notre monde et de ses souffrances. Au contraire, cette espérance concerne la création tout entière traversée par le mal et les malheurs. Sa source est à chercher dans l’événement de la résurrection corporelle de Jésus de Nazareth. Cette résurrection, sans précédent, inimaginable aussi bien dans le monde antique qu’au XXIesiècle, constitue les prémisses et donc la garantie d’une nouvelle création où Dieu sera tout en tous. C’est entre ce passé et ce futur garanti que prend place la mise en œuvre concrète, ici et maintenant, de cette espérance par les chrétiens.
Structure du livre
N.T. Wright organise son livre en trois parties, chacune correspondant au passé (1ère partie), au futur (2ème partie) et au présent (3ème partie).
La première partie aborde le passé. La mort de Jésus et sa résurrection sont relues au sein des idées autour de la mort et de l’après mort dans le monde antique du Ier siècle influencé par la Grèce et par Rome. Wright insiste sur le caractère inouï, imprévu et déroutant de la résurrection de Jésus tant pour le monde juif que païen.
La seconde partie s’intéresse à la structure de l’espérance et à ses impacts sur nos visions du monde. La Seigneurie de Jésus (son Ascension) et sa parousie sont retravaillées surtout à partir des lettres de Paul et de l’Apocalypse de Jean. L’approche du théologien anglican permet, tant à l’Eglise, au Royaume de Dieu qu’au monde, de retrouver leur juste place évitant deux écueils toujours d’actualité : celui du triomphalisme et celui du désespoir.
Et finalement la troisième partie aborde le présent. Car le but de Wright n’est pas la « bonne dogmatique ». Il est question de notre présence au monde en tant que chrétiens et de la manière dont nous l’habitons. En effet, nous l’avons appris, ce que nous croyons de la vie ou de l’absence de celle-ci après la mort détermine en grande partie nos choix et notre style de vie.
Les croyances à propos de la mort
Le théologien anglican débute son ouvrage par une analyse brève des systèmes de croyances actuels dans le monde occidental et contemporain à propos de la mort et de l’après-mort. A partir d’exemples concrets (funérailles de personnes célèbres médiatisées, films, hymnes), l’auteur montre la présence d’éléments très disparates. Des croyances ésotériques, néo-platoniciennes ou tirées de la nature, mêlées à des éléments du bouddhisme avec des formes de réincarnation se juxtaposent et amènent à une confusion générale. L’auteur britannique donne l’exemple d’un message déposé à l’occasion de la mort de Diana :
Je ne vous ai jamais quittés. Je reste auprès de vous. Je suis dans le soleil et dans le vent. Je suis même dans la pluie. Je ne suis pas morte, je suis avec chacun de vous
Surpris par l’espérance, p. 35
Wright analyse que lorsque les chrétiens utilisent encore le terme de « résurrection », la plupart du temps ils pensent à une sorte de « vie après la mort ». Aller au ciel après la mort et vivre hors de ce monde serait en substance l’espérance chrétienne généralement admise.
De l’analyse qui précède, le théologien et spécialiste du Nouveau Testament estime urgent de reprendre la tradition chrétienne avec, pour reprendre son expression, les « Ecritures au centre ». La mort et la résurrection de Jésus sont relues en tenant compte des idées de la mort et de l’après-mort dans le monde de Jésus.
Dans le contexte des croyances de l’Antiquité, l’événement de la résurrection de Jésus de Nazareth est totalement inouï et sans analogie possible. Bien que l’idée de résurrection soit présente dans le système de croyances juif, Wright note plusieurs modifications. Les premiers chrétiens et jusque dans le milieu du second siècle, proclament la résurrection d’une même voix malgré les arrière-plans culturels et religieux très diversifiés. La foi en la résurrection est centrale chez les premiers chrétiens alors qu’elle est secondaire dans le judaïsme. La matérialité du corps est thématisée et des caractéristiques spécifiques sont précisées dont l’incorruptibilité. Le Ressuscité est reconnu comme le Messie.
Dans le judaïsme, la notion de Messie était devenue centrale lors des premiers temps du christianisme. La mission du Messie était de combattre les ennemis malfaisants, d’instaurer la justice divine sur terre et de purifier le Temple. Dans la conception populaire juive, le Messie ne pouvait pas mourir et donc pas ressusciter. Reconnaître le Ressuscité comme Messie allait de pair avec sa Seigneurie. Cette affirmation aura des conséquences majeures sur le rapport des chrétiens avec la mort et le pouvoir !
Malgré une solide argumentation, l’auteur ne cherche pas à « prouver » rationnellement la Résurrection. Il est conscient qu’elle représente un défi tant elle confronte nos visions du monde. Voici les mots de Wright :
L’affirmation proposée par le christianisme est effectivement extraordinaire sur ce point : avec Jésus de Nazareth, nous n’envisageons pas simplement une nouvelle potentialité religieuse, une nouvelle éthique ou une nouvelle voie de salut ; nous envisageons une nouvelle création.
Surpris par l’espérance, p. 121
« La vie après la vie après la mort »
Dans la deuxième partie de son livre, Wright ouvre l’espérance au-delà de la sphère individuelle, typique de l’époque actuelle en abordant sa dimension cosmique.
Face à l’optimisme évolutionniste d’un côté et au désespoir de l’autre, l’auteur positionne l’espérance chrétienne de manière spécifique. Le projet futur de Dieu n’est pas l’anéantissement de la création mais sa transformation en une nouvelle création.
Trois aspects fondamentaux structurent l’espérance chrétienne :
- La création. Elle est l’œuvre bonne de Dieu, le Créateur. La création n’est pas Dieu et Dieu n’est pas la création. Pas de confusion ni de séparation mais une relation.
- Le mal. Le mal ne se situe pas dans la création. Je cite Wright : « La nature du mal consiste non pas en ce qu’il est créé mais en ce qu’il provient d’une idolâtrie par laquelle les êtres humains adorent et honorent les éléments du monde naturel plutôt que Dieu qui les créés. Il en résulte un désordre profond du cosmos » (p.158). Le mal n’est pas à confondre avec la mortalité physique (par ex. les feuilles qui tombent de l’arbre en automne).
- La rédemption. La rédemption ne consiste pas à « réparer » ou faire progresser la création comme le pense les évolutionnistes. Il ne s’agit pas non plus d’extraire les âmes immortelles des corps comme le pense les dualistes. La rédemption consiste en une libération du mal, une restauration en profondeur de tout le crée (espace, temps, relations, matériel).
L’Ascension, centre de l’espérance
Le projet futur de Dieu comprend un centre, Jésus Christ, prototype et agent de la nouvelle création. Son Ascension dit sa position d’autorité, autorité conférée par Dieu lui-même. Il est habilité à régner, à juger, à sauver et à recréer. Rien que ça !
Aux yeux de Wright, l’Ascension est insuffisamment comprise en raison d’une représentation de l’espace façonnée par une vision platonicienne, attribuant au « ciel » la dimension spirituelle, lieu incapable d’être la demeure du Ressuscité. La citation suivante exprime une vision juive et chrétienne de l’espace.
Le mystère de l’Ascension reste un mystère. Cet événement exige que nous pensions ce qui est presque impensable à beaucoup de nos contemporains : il nous faut admettre que lorsque la Bible parle du « ciel » et de la « terre », elle ne désigne pas seulement deux localisations liées l’une à l’autre au sein du même continuum espace-temps, ni même un monde « non-physique » d’une part et un monde « physique » de l’autre, mais deux formes différentes de ce que nous appelons « l’espace » et deux formes différentes de ce que nous appelons « matière
Surpris par l’espérance, p. 184
La seconde venue et le jugement
Dans la suite, Wright aborde la délicate question du « retour » de Jésus-Christ. Il inclut cette doctrine à sa théologie de l’espérance en précisant le terme grec « parousie » qu’on peut traduire à la fois par « venue » et littéralement par « présence ».
Deux significations avaient cours à l’époque dans la société non chrétienne. Le premier sens désigne la « présence » surnaturelle d’un dieu agissant dans l’histoire d’une personne ou d’un peuple. Le second sens se réfère à un dignitaire (personne de haut rang) rendant visite à un Etat vassal. A l’époque romaine, lorsque l’empereur rendait visite à une colonie romaine, il « apparaît » pour exercer son autorité.
Paul et les autres auteurs du N.T. reprennent le mot « parousie » en se référant aux Ecritures juives et plus particulièrement aux textes évoquant « le jour du Seigneur ». Comme dit précédemment, pour les premiers chrétiens, Jésus est le « Seigneur ». Cela signifie qu’en Lui, les Ecritures trouvent leur accomplissement quand bien même les projections qu’ils avaient du Messie étaient toutes différentes.
Les conséquences quant à la relation que les premiers chrétiens auront au pouvoir seront déterminantes. Wright l’exprime ainsi :
La parousie est un des termes qui permet à Paul de dire que Jésus est la réalité dont César n’est qu’une parodie. Sa théologie de la « seconde venue » fait partie de sa théologie politique de Jésus comme Seigneur. En d’autres termes, nous observons le langage de la parousie, de la présence royale, positionné en juxtaposition typiquement paulinienne avec le langage apocalyptique des Juifs.
Surpris par l’espérance, p. 206
L’espérance chrétienne, une visée résolument pratique
L’objectif de l’ouvrage de Wright n’est pas d’abord dogmatique ou exégétique. Dans sa préface, il est précisé : « ce livre traite des bases de la théologique pratique, voire politique » (p.11).
La troisième partie du livre traite surtout de l’agir, du faire des chrétiens sans tomber dans le pragmatisme justement en raison de sa théologie de l’espérance. Œuvrer (bénévolement ou en étant rémunéré) se leste d’un sens nouveau. Investir du temps, de l’énergie, des compétences, des moyens matériels au sein de notre monde – pour les pauvres, les exclus, les réfugiés, les isolés, les désespérés etc…- en vue d’un avenir promis et inauguré par le Ressuscité n’est pas une distraction par rapport à la tâche de l’évangélisation. Il ne s’agit pas d’un rajout optionnel de « l’Evangile ». Pourquoi ? Parce que les « actes » de Jésus avant sa mort ne sont pas à comprendre comme des « illustrations de son message ».
L’objectif même de ce que faisait Jésus était de démontrer que son action immédiate dans le présent était la démonstration concrète de ce qu’il promettait pour le long terme, le futur. Et ce qu’il promettait pour l’avenir tout en le réalisant déjà dans le présent ne consistait pas à sauver des âmes en vue d’une éternité désincarnée, mais à secourir les gens de la corruption et de la dégradation de l’état actuel du monde afin qu’ils puissent profiter déjà dans le présent, du renouvellement de la création qui constitue l’objectif ultime de Dieu – et ainsi qu’ils puissent participer activement à ce grand projet en tant que collaborateurs et partenaires.
Surpris par l’espérance, p. 287
Le salut pour l’auteur britannique consiste à se laisser secourir, guérir et à être « collaborateur-trice » en vue de construire pour le Royaume de Dieu. Cette dernière citation récapitule sa conception du salut : «[…les sauvés] ne sont pas juste des signes et des avant-goûts de ce « salut » ultime ; [ils sont appelés] à faire partie des moyens dont Dieu se sert pour accomplir sa volonté dans le présent et futur » (p. 298).
Visiblement, le théologien anglican est à mille lieues de faire du salut une affaire privée !