Commentaire sur l’Ecclésiaste. Chapitres 11:7-12:14

Cet article fait partie du dossier thématique Qohélet

Cet article propose un commentaire des chapitres 11:7-12:14 du livre de Qohélet / Ecclésiaste, de la main de Nicolas Merminod.

11:7–12:7. Se souvenir de Dieu déjà dans la jeunesse

Cette section est un appel à jouir de la vie tant que c’est possible, tant que la santé le permet. Autrement dit, il ne s’agit pas de craindre Dieu pour se rassurer dans la vieillesse, mais déjà pour se réjouir dans la jeunesse. Ce passage est construit en trois parties :

  • 11:7-8 met en opposition les jours agréables de la vie et les jours qui ne le sont plus.
  • 11:9-10 appelle à se réjouir des jours agréables ; c’est un développement de 11,7.
  • 12:1-7 annonce les jours qui ne seront plus agréables ; c’est un développement de 11,8.

11:7-8. Les jours clairs et les jours obscurs.

7 Douce est la lumière,
c’est un plaisir pour les yeux de voir le soleil.
8 Si l’homme vit de nombreuses années,
qu’il se réjouisse en elles toutes,
mais qu’il se souvienne que les jours sombres sont nombreux,
que tout ce qui vient est vanité.

Qo 11:7-8 Traduction Oecuménique de la Bible

L’opposition est ici construite sur la lumière à laquelle succède l’obscurité. La mention de la vanité est intéressante ; ce sont bien les jours obscurs à venir qui sont présentés comme vanité. Ce ne sont en aucun cas les joies qui seraient minimisées, mais bien l’affirmation que les difficultés à venir sont sans consistance ; tout comme les joies passagères, elles n’ont rien de définitif, elles cesseront. Cela renforce l’appel à se réjouir avant que ces jours n’arrivent.

11:9-10. Profiter des jours heureux…

9 Réjouis-toi, jeune homme, dans ta jeunesse,
que ton cœur soit heureux aux jours de ton adolescence,
marche selon les voies de ton cœur
et selon la vision de tes yeux.
Mais sache que pour tout cela,
Dieu te fera comparaître en jugement.
10 Eloigne de ton cœur l’affliction,
écarte de ta chair le mal,
car la jeunesse et l’aurore de la vie sont vanité.

Qo 11:9-10 Traduction Oecuménique de la Bible

C’est un appel à profiter de la santé et des facilités de la jeunesse, un appel à se réjouir avant que les difficultés ne surviennent et le v. 10 présente cette jouissance comme un impératif ; c’est bien à cela que l’humain est appelé dans sa jeunesse, c’est-à-dire tant que cela lui est possible, tant qu’il ne subit pas les désagréments de la vieillesse. Une vraie liberté est ouverte : « Marche selon les chemins de ton cœur et selon la vision de tes yeux. » C’est une invitation à réaliser ses projets et profiter d’avoir des yeux fonctionnels – ce passage du v. 9 fait écho au v. 7 – sans contrainte morale, sans loi entravant cette liberté. La mention de Dieu n’intervient pas comme une restriction de liberté, mais plutôt comme un appel à la responsabilité. La question du jugement est à comprendre comme récapitulation et non comme jugement (voir Qo 9:7b) ; il s’agit de rendre compte plutôt que d’obtenir l’approbation. L’idée d’une possible condamnation paraît d’autant plus absurde que Qo ne se prononce jamais sur l’après-vie – il affirme un sort commun pour tous (Qo 3:19-20) – et ne donne aucun critère qui permettrait d’obtenir ou non l’approbation de Dieu. Il y a une confiance fondamentale dans le fait que Dieu est toujours celui qui donne et que jouir de ce qu’il donne est la bonne manière de répondre à son don. Au final, ce sont les actions qui seront jugées (Qo 12:14), le jugement relevant ici de la validation des actions plutôt que d’une condamnation des personnes.

12:1-7. …avant les jours difficiles.

1 Et souviens-toi de ton Créateur
aux jours de ton adolescence,

Qo 12:1 Traduction Oecuménique de la Bible

Le lecteur est appelé à se souvenir de son Créateur tant qu’il peut profiter de la santé de la jeunesse. Cependant, plusieurs points sont à relever. Un premier point est que l’hébreu met un pluriel – donc littéralement « tes créateurs – alors que le grec met un singulier qui paraît ici plus cohérent. Une interprétation qui me paraît simple est que dans Qo, Dieu est toujours désigné par le terme אלהים((transcrit « elohim »)) en hébreu (qui est formellement un pluriel) et θέος((prononcé « théos »)) en grec (qui est un singulier). Dès lors, la manière dont Dieu est ici désigné correspond au nombre dans chacune des langues. Cette explication est discutable car même si אלהים a une forme plurielle, il est cependant toujours suivi de verbes au singulier dans l’AT. Bien que בוראיך soit un participe actif pluriel (avec suffixe ך) et non un verbe conjugué, la forme plurielle reste mystérieuse. Un second point est le rythme du passage, puisque ses versets sont articulés en trois parties, chacune introduite par l’affirmation d’une échéance : «jusqu’à ce que… » (vv. 1, 2 et 6 : עד אשׂר et ἔως), suivi d’une négation. Le texte présente trois étapes successives : la vieillesse (v. 1b), la mort (vv. 2-5) et le moment où il ne reste plus rien (vv. 6-7).

Le lecteur est donc appelé à se souvenir de son Créateur avant que l’âge ne supprime le confort de la vie (v. 1b), le cycle de la vie ne reprenne (vv. 2-5) et tout ce qui a été fait soit défait (vv. 6-7).

1 – avant que ne viennent les mauvais jours
et que n’arrivent les années dont tu diras :
« Je n’y ai aucun plaisir »,

Qo 12:1 Traduction Oecuménique de la Bible

Avant que l’âge ne supprime le confort de la vie (v. 1b) ; cette échéance est une opposition à Qo 11:7 et Qo 11:9 qui mettent en avant la dimension de joie liée à la jeunesse. Dès lors, l’absence de plaisir – littéralement de désir – est lié à la vieillesse. En clair, c’est une description du moment où l’envie de vivre n’est plus présente.

2 – avant que ne s’assombrissent le soleil et la lumière
et la lune et les étoiles,
et que les nuages ne reviennent, puis la pluie,
3 au jour où tremblent les gardiens de la maison,
où se courbent les hommes vigoureux,
où s’arrêtent celles qui meulent, trop peu nombreuses,
où perdent leur éclat celles qui regardent par la fenêtre,
4 quand les battants se ferment sur la rue,
tandis que tombe la voix de la meule,
quand on se lève au chant de l’oiseau
et que les vocalises s’éteignent ;
5 alors, on a peur de la montée,
on a des frayeurs en chemin,
tandis que l’amandier est en fleur,
que la sauterelle s’alourdit
et que le fruit du câprier éclate ;
alors que l’homme s’en va vers sa maison d’éternité,
et que déjà les pleureuses rôdent dans la rue ;

Qo 12:2-5 Traduction Oecuménique de la Bible

avant que le cycle de la vie ne reprenne (vv. 2-5). La mention du soleil et de la lumière renvoie à Qo 11:7 ; c’est donc une manière de d’appeler à jouir de cela tant qu’il est encore possible d’en jouir. La dimension de mort est très forte dans les vv. 3-4 : les hommes perdent leurs forces, les femmes ne sont plus assez nombreuses pour faire tourner la meule et plus assez belles pour attirer les hommes à leurs fenêtres, le manque de gardien oblige à fermer les portes, les vieillards sont réveillés par le chant de l’oiseau et les filles qui chantent faiblissent… C’est vraiment la mort d’un village qui est ainsi décrite. Pourtant, ce développement est encadré par les vv. 2 et 5 qui font référence au cycle des saisons ; les nuages annoncent la saison des pluies, et sont associés à la mort, mais précèdent le printemps symbolisé par l’amandier en fleurs et le câprier qui porte du fruit. Cette dimension cyclique permet que la mort ne soit pas un aboutissement ; c’est bien un aboutissement pour l’individu, mais le monde et la société continuent à vivre. L’hiver – et donc la mort – se termine alors que le printemps – et donc la vie qui reprend – commence. Mort et vie se succèdent et se chevauchent. Deuil et vie se côtoient, ne sont jamais bien séparés.

6 – avant que ne se détache le fil argenté
et que la coupe d’or ne se brise,
que la jarre ne se casse à la fontaine
et qu’à la citerne la poulie ne se brise,
7 – avant que la poussière ne retourne à la terre, selon ce qu’elle était,
et que le souffle ne retourne à Dieu qui l’avait donné.

Qo 12:6-7 Traduction Oecuménique de la Bible

Avant que tout ce qui a été fait soit défait (vv. 6-7). Ce qu’a fait l’humain est défait (v. 6) et la vie que Dieu a créée se termine aussi (v. 7). Tout ce qui a été créé se brise, se termine, et le souffle (רוח et πνεῦμα) retourne à Dieu.

Ce passage dépeint la vieillesse comme la dernière déception ; tout est vanité, rien ne peut apporter à l’humain la sécurité qu’il recherche, et même s’il atteint un grand âge, ce sera une expérience douloureuse. Cependant, cela ouvre une autre possibilité d’interprétation : c’est déjà dans sa jeunesse quand l’individu peut profiter de sa vie et qu’il est appelé à se souvenir de Dieu, à mettre sa confiance en lui. Au moment il ne ressent plus de plaisir, cette relation paraît plus difficile à nourrir puisqu’il ne peut plus accueillir la joie qui est un don de Dieu. C’est bien un appel à accueillir les dons de Dieu avant la vieillesse, quand la santé permet d’en jouir pleinement.

12:8-14. Appendice

8 Vanité des vanités, a dit le Qohéleth, tout est vanité.

Qo 12:8 Traduction Oecuménique de la Bible

Cet appendice est présenté comme étant d’un autre auteur ; ce n’est pas Qohélet qui parle de sa recherche de la sagesse, mais bien un auteur qui fait un bilan de la réflexion de Qohélet. Cependant, cela peut parfaitement être considéré comme une stratégie littéraire, cet appendice ayant pour fonction de donner davantage de poids à tout ce qui précède. Les vv. 9-11 illustrent bien cela.

9 Ce qui ajoute à la sagesse de Qohéleth,
c’est qu’il a encore enseigné la science au peuple ;
il a pesé, examiné, ajusté un grand nombre de proverbes.

Qo 12:9 Traduction Oecuménique de la Bible

Au v. 9, la présentation de Qohélet comme enseignant – il apparaît comme observateur solitaire dans tout le livre – le rapproche de la culture grecque où un maître de sagesse transmet sa connaissance à des disciples. Cela fait écho à Qo 1:16 où Qohélet affirme avoir fait avancer la sagesse plus que tout autre roi à Jérusalem, mais le décalage demeure ; il n’est jamais question d’enseignement dans les indications censées être biographiques.

10 Qohéleth s’est appliqué à trouver des paroles plaisantes
dont la teneur exacte est ici transcrite :
ce sont les paroles authentiques.

Qo 12:10 Traduction Oecuménique de la Bible

Le v. 10 affirme l’authenticité des paroles du livre ; en clair, Qo présente l’enseignement du personnage Qohélet. Cependant, nous n’avons pas d’autres indications sur un « Qohélet historique » et il n’y a ici aucune mention indiquant que ce serait Salomon, ce qui expliciterait Qo 1:1. Aussi, l’identité de Qohélet reste floue.

11 Les paroles des sages sont comme des aiguillons,
les auteurs des recueils sont des jalons bien plantés ;
tel est le don d’un berger unique.

Qo 12:11 Traduction Oecuménique de la Bible

Le v. 11 inscrit Qo dans le contexte de la sagesse plus large en affirmant l’utilité de la sagesse, les écrits des sages étant utiles à l’humanité.

Cependant, ces remarques ne changent rien à la fonction de légitimation de ces versets ; le but est bien d’attester la pertinence de ce qui précède et c’est curieux de voir le jeu littéraire ici mis en place, la légitimation étant présentée comme écrite par un autre et venant en conclusion du livre.

Cet appendice débute par une répétition de Qo 1:2 ; l’affirmation qui introduit toute la réflexion introduit aussi la conclusion. Cela réaffirme donc la précarité de la condition humaine, l’impossibilité de trouver une sécurité absolue qui ne se révèle pas illusoire. Dans ce sens, le v. 11 développe les fonctions de la sagesse en utilisant l’image du berger :

  • L’aiguillon a une fonction dynamique puisqu’il sert à faire avancer les bêtes ; les paroles des sages viennent stimuler la réflexion.
  • Les jalons ont une fonction normatives puisqu’ils mettent une limite au troupeau ; les sages posent des garde-fous à ne pas dépasser.

La mention du berger unique confirme la manière d’interpréter l’aiguillon et les jalons, mais c’est alors l’identité de ce pasteur qui surprend.

  • S’agit-il de Qohélet ? Il n’y a pas d’explicitation dans ce sens, mais les vv. 9-10 peuvent être compris dans ce sens.
  • De Dieu lui-même ? C’est possible dans la mesure où Dieu est toujours présenté comme celui qui donne et que le texte utilise justement ce verbe (נתן et δίδωμι). Cependant, Qo se contente de dire que la crainte de Dieu fait partie de la sagesse (Qo 4:17–5:6) et affirme surtout que l’humain est toujours dans l’ignorance de ce que fait Dieu. La sagesse consiste à reconnaître cette ignorance et rapporter la sagesse à Dieu me paraît alors peu pertinent.
  • De la sagesse elle-même ? Dans le POA((Proche Orient Ancien)), la sagesse est souvent personnifiée ; une même Sagesse que les sages découvrent, expérimentent. Cette compréhension me paraît ici la meilleure, surtout que Qo développe une sagesse expérimentée par opposition à une sagesse populaire. De plus, cela renforce l’affirmation que tout est vanité (v. 8) comme base de cette “vraie” sagesse.

12 Garde-toi, mon fils, d’y ajouter :
à multiplier les livres, il n’y a pas de limites,
et à beaucoup étudier, le corps s’épuise.

Qo 12:12 Traduction Oecuménique de la Bible

Le v. 12 met une limite à la recherche de la sagesse ; multiplier les livres – que ce soit l’écriture ou la lecture – est un travail sans fin et qui épuise le corps. Aussi, le lecteur est invité à accepter les limites posées par Qohélet qui affirme que les trop nombreuses questions n’aident pas à vivre. La sagesse est importante, mais uniquement dans la mesure où elle permet de bien vivre, d’éviter de perdre de l’énergie, du temps ou des biens, mais elle n’est jamais une fin en soi.

13 Fin du discours : Tout a été entendu.
Crains Dieu et observe ses commandements,
car c’est là tout l’homme :

Qo 12:13 Traduction Oecuménique de la Bible

Le v. 13 présente une conclusion abrupte : tout a été dit et ce qui peut être ajouté relève de l’inutile. Pourtant, cet appendice se conclut encore par un rappel à la crainte de Dieu. La mention des commandements indique que ce livre est lu dans un contexte religieux ; c’est bien la piété juive qui est ici mise en avant. Même si le livre donne un autre éclairage que la majeure partie de l’AT, il ne doit pas cependant pas être compris comme allant à l’encontre de cette tradition.

14 Dieu fera venir toute œuvre en jugement
sur tout ce qu’elle recèle de bon ou de mauvais.

Qo 12:14 Traduction Oecuménique de la Bible

Le v. 14 utilise le même ressort que Qo 11:9 en rappelant le jugement à venir de Dieu. Cependant, il s’agit de récapitulation plutôt que de condamnation, l’approbation de Dieu relevant du mystère (voir Qo 9:7b). L’ensemble de Qo affirme l’impossibilité de trouver la sécurité que recherche l’humain ; tout ce qu’il utilise pour se rassurer se révèle faillible, si bien qu’il ne lui reste plus que la confiance en Dieu, et cette approbation mystérieuse. D’un point de vue théologique, cette approbation peut être comprise comme grâce, même si le terme n’est pas utilisé dans le livre. Aussi, le lecteur est appelé à vivre dans cette confiance et à agir à partir de cette confiance ; comme il ne peut pas savoir ce qui est bon puisqu’il ignore le futur (voir par exemple Qo 3:11 et Qo 3:22), il agit sans savoir si ses actions – au v. 14, le jugement porte sur l’action et non la personne – sont bonnes, simplement avec la confiance d’être. Le jugement n’est alors pas à comprendre comme condamnation de la personne, mais bien comme validation ou non des œuvres qu’elle a accomplies.

Conclusion au commentaire

Ces dernières considérations renvoient le lecteur à sa réalité ; la lecture est une étape mais ce n’est que lorsqu’elle est vécue qu’elle devient pertinente. Formulé autrement, la connaissance n’a de sens que si elle aide à mieux vivre, si elle permet de jouir avec lucidité des plaisirs possibles. Dans le cadre de l’AT, Qo vient apporter un éclairage original et non balayer les autres écrits. Si la condition est ici largement développée, Qo ne donne cependant pas beaucoup de pistes sur la manière de vivre la relation avec Dieu.

À partir des réflexions de cet ouvrage, les autres livres peuvent être relus avec un regard décalé, peut-être aussi plus critique.

Ne manquez pas les prochains articles

Nicolas Merminod

Nicolas est pasteur dans l’Église réformée vaudoise dans la paroisse du Jorat. Membre du Care Team Vaud, il fait du soutien psychologique d’urgence sur mandat de la gendarmerie vaudoise. Dans un  registre plus léger, il profite des largesses du temps (météorologique et temporel) pour aller grimper.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.