Le tournant de ma théologie. L’écologie et la justice environnementale

Cet article fait partie du dossier thématique Ecologie

Le centre de ma vocation théologique

Qu’est-ce que l’écologie – au sens englobant du terme – a apporté à ma théologie et comment ces deux domaines de ma vie se nourrissent mutuellement ?

Durant le dernier semestre de mon Bachelor en théologie, alors que je ne trouvais définitivement pas d’élément fédérateur à tout le savoir que j’accumulais, je suis allé étudier par curiosité en faculté de Géosciences à Lausanne. Un cours unique – donné par Dominique Bourg et intitulé durabilité : enjeux scientifiques et sociaux – a littéralement transformé ma vision du monde. J’avais trouvé la pierre angulaire qui donnait sens à mon envie d’apprendre, de comprendre et de servir mon monde.

Dès lors, ma théologie, portée par les thèses de l’éthique environnementale et de l’écologie politique, se transforma. Dès lors, ma théologie se mua en écothéologie – sur ce terme, voir ce que le Conseil Oecuménique des Eglises propose. Je désirais trouver un domaine d’étude qui serve le monde autour de moi. C’est le monde lui-même qui devint mon domaine d’étude.

Et c’est en étudiant l’écologie que j’ai découvert à quel point ses outils permettent d’interpréter théologiquement notre réalité. Non pas pour tisser des quelconques parallèles entre deux champs d’études distincts. Au contraire, l’écologie n’apporte pas juste une connaissance sur notre monde. C’est une manière de le voir, de le contempler et de chercher à le préserver.

Ainsi, c’est à la lueur de cette nouvelle vision du monde, que des interprétations théologiques se révèlent … et deviennent criantes. Car « aussi la création attend-elle avec un ardent désir la révélation des fils de Dieu » (Rm 8:19). 

L’interdépendance du monde

Gaïa, Biosphère, écosystème, etc., tous ces termes – avec leurs définitions propres – viennent rappeler une donnée essentielle de la planète sur laquelle nous évoluons : les éléments qui la composent – du plancton océanique à l’humain – sont reliés, connectés voire interdépendants. Cette interaction du monde fait grandir notre champ de vision : « Telle est la pensée écologique. Plus nous la considérons, plus notre univers s’élargit. »((MORTON, T., (2010), The Ecological Thought (La pensée écologique), Harvard : Harvard University Press.))

Des premiers textes du forestier Aldo Leopold((LEOPOLD, A., (1949), A Sand County Almanac (Almanach d’un comté des sables), Londres : Oxford University Press.)) sur l’absurdité de la chasse des grands prédateurs, aux printemps silencieux de la biologiste Rachel Carson((CARSON, R., (1962), Silent Spring (Printemps silencieux), Boston : Houghton Mifflin.)) qui s’annoncent à cause de l’usage des DDT (pesticides) jusqu’à « comment tout va s’effondrer »((SERVIGNE, P., STEVENS, R., (2015), Comment tout peut s’effondrer, Paris : Editions du Seuil.)) des collapsologues Pablo Servigne et Raphaël Stevens ; tous ces écrits démontrent l’interconnectivité de la Terre et de tout ce qui y vit pour nous mettre en garde.

Hélas, et c’est l’enjeu crucial de notre temps, nous nous servons si mal de cette interconnexion. Pire, négligeant cette dernière, nous produisons et consommons des flux de matières et d’énergies qui nous font franchir les limites-mêmes de notre Terre((ROCKSTRÖM et al., (2009), « A safe operating space for humanity », Nature Vol. 461, Londres : Springer Science and Business Media LLC, p.472-475.)).

Pourtant, cette interdépendance est exactement ce que le terme de Création recouvre. Ni panthéiste, ni matérialiste, la Création révèle l’action de Dieu dans tout ce qui la compose((EGGER, M-M., (2012), La Terre comme soi-même, Genève : Labor et Fides.)), reliant par le Christ (Col 1) tout ce qui est créé dans l’espérance commune d’être renouvelé (Rm 8).

De toutes les écothéologies que j’ai pu étudier, aucune ne m’a pour le moment plus profondément interpellé que celle du théologien réformé Jürgen Moltmann dans Ethics of Hope((MOLTMANN, J., (2012), Ethics of Hope, Londres : SCM Press.)) Il nous y rappelle un fait simple mais essentiel. Dieu a fait Alliance avec la Création autant qu’avec nous (Gn 9). Négliger ou nier que la Création est notre sœur dans l’Alliance, c’est nier l’Alliance avec Dieu. Et il n’y a qu’une seule conséquence qui peut découler d’une telle négligence : l’accroissement de la mort. 

L’urgence du commandement d’amour

La systémie du monde et son interconnectivité réaffirme la nécessité de sérieusement appliquer le commandement d’amour enseigné par le Christ. Mon agir, ici et maintenant, affecte un.e autre avec une distance spatio-temporelle. Si mon agir pollue, mon agir tue. Et « la pollution de l’air tue environ trois fois plus d’humain que le sida »((BARRAU, A., (2019), Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité, Neuilly-sur-Seine : Michel Lafon.)).

Puis-je vraiment considérer avoir respecté le message du Christ, avoir aimé mon.ma prochain.e comme moi-même (Mc 12:31), si mener ma propre existence consume la vie de mes prochain.es ? 

Chercher une sobriété d’existence, conscientiser nos modes de vies et les rendre éthiques, etc., sont tout autant de déploiements urgents et concrets du commandement d’aimer. Cette exigence de Dieu donné par le Christ nous exhorte à un amour juste qui ne laisse ni le temps ni la distance l’enfermer dans le cloisonnement du déni. Au contraire, ce dernier doit ouvrir notre cœur à l’amour de tout ce qui vit. Car « la toile de la vie à la fois nous berce et nous appelle à tisser davantage. »((MACY, J., « Agir avec le désespoir du monde » in HACHE, E., Reclaim : recueil de textes écoféministes, Paris : Cambourakis, p. 161-182.))

Ne pas tenir compte du spectre large que l’écologie donne au verbe aimer est un crime contre la vie.

Effondrement et Espérance

Comme tant de mes contemporain.es, je vis et j’agis avec le désespoir du monde. Et comme tant d’entre-elleux, j’affirme qu’il « est temps de regarder en face l’agonie de notre monde et d’être un peu sérieux. »((BARRAU, A., (2019), Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité, Neuilly-sur-Seine : Michel Lafon.))

Nous sommes appelé.es à regarder la réalité pour ce qu’elle est, pour ce que nous en avons fait. Aujourd’hui l’humanité est une force géologique capable de bouleverser les fonctionnements de la Terre et la faire entrer dans une nouvelle ère géologique. En un mot, elle est Anthropocène. Rien ne lui échappe et elle impacte toute chose. Nous vivons à l’ère de la Collapsologie, de la multiplication des théorisations de notre fin et de celleux qui croient en un salut par l’Effondrement.

Une chose est certaine : la catastrophe écologique est passée, présente et future. Si le désespoir face à cet état de fait est légitime, ne rien faire est un choix, pas une fatalité. Le péché ne doit pas nous faire peur ni nous paralyser. Nous sommes appelés à être froid ou bouillant, seule la tiédeur est impossible (Ap 3:15).

Dieu nous libère de l’effroi de la mort et cette liberté nous permet d’être lucide face au monde, de chercher à résister aux systèmes qui le mettent en péril tout en espérant son renouvellement. Nous vivons dans le déjà-là et le pas-encore du Royaume : notre apocalypse ne sera pas sans ce dernier.

Faisons de l’espérance qui est nous révélée un moteur d’activation, d’engagement et de force pour défendre nos valeurs, en nous gardant bien de toute fuite anesthésiante du monde.

L’écologie nous montre la réalité. Notre espérance révèle, ce qu’elle doit être. 

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Benoit Ischer

Benoît Ischer est en train de terminer son Master en théologie aux universités de Lausanne et Genève, avec un mémoire en écothéologie sur la question de l’effondrement écologique. Il est engagé de diverses manières pour rendre l'Église davantage militante.

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