Le sanctuaire invisible

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Cet article fait partie du dossier thématique Covid-19

La révérence et les autorités au temps de COVID

Depuis le mois de mars jusqu’à juillet 2020, on pouvait assister à un événement remarquable dans les rues de Vevey : à partir de 21h, des personnes de tous âges, sur leurs balcons, dans des appartements adjacents au nôtre, applaudissaient. Les mains levées, les voix exaltées s’élevaient et ovationnaient pendant une à cinq minutes.

Ce qui était frappant, ce qu’il ne s’agissait pas d’un événement isolé, mais d’une habitude qui a été adoptée dans plusieurs villes, villages, un peu partout en Suisse et même au-delà.

Qui ne se rappelle pas de ces captures vidéo d’un chant d’opéra allant d’un balcon à l’autre dans la ville de Sienne, ou encore à Naples ? 

Il y a une certaine puissance, une hégémonie, dans cette pratique homogène : elle ne vient pas du style de vie, mais de la pratique et aussi, si on leur prête une attention suffisante, des croyances qui les nourrissent. 

Une théologie de la banalité

Faire de la théologie à partir de ce qui est banal, c’est une habitude qui date au moins des paraboles d’un certain nazaréen

Yeshua – Jésus de Nazareth, pour les occidentaux – nous raconte le Royaume de Dieu, le telos eschatologique, l’espoir de la rédemption du peuple juif – si ce n’est celle de tout le cosmos ! – à travers des graines mise en terre, des pièces cachées, et d’autres images tirées du monde agricole. Nous nous permettons, alors, de regarder nos circonstances quotidiennes, et de trouver là-dedans la gloire cachée, une gloire révélée dans nos faibles tentatives de la susciter de notre propre force.

L’éclat des applaudissements

Ce qui est frappant, et de manière assez belle, c’est que, pendant ces cinq minutes d’applaudissement, tout ce qui touche à la quiétude suisse, son ambiance austère et restreinte, s’est dissipé comme un vêtement usé. 

Ce fut l’irruption joyeuse de la louange, louange envers quelqu’un qui, dans la plupart des cas, est hors de vue, et, en raison de cela, reste assez vague, sans forme bien définie. 

Et pourtant, la louange s’éleva : avec des casseroles, des instruments musicaux simples, des applaudissements, mais également avec des cris de « bravo » et de « merci » à ceux qui ne profitent pas du luxe du télétravail, ni de la protection du chômage technique. 

Dans ces moments tendres et interpellant je pris conscience de quelque chose : le fait d’élever les cœurs, les voix, les âmes, vers la Bonté Invisible, la miséricorde pour ceux qui souffrent, une communauté inattendue, des individus différents unifiés par un défi commun et une joie partagée – ici, dans les rues Général-Guisan, Nestlé, se trouvait une image de l’Église

Le combat hors-champ

On peut apercevoir le sanctuaire invisible pendant cette période d’isolement, de confinement et de trépidation : nous étendons les bras vers ce que nous ne voyons pas. Nous restons confiants et convaincus que la rédemption (au moins avec rminuscule) demeure, et que cette rédemption se bat pour nous dans des domaines qui échappent à notre regard: les médecins, les infirmières, se battent pour le monde visible, mais dans des milieux dans lesquels nous n’entrons pas souvent. Pourtant ces milieux sont des zones de combat contre une menace qui est, hélas, est tout à fait réelle. 

Comme nous le rappellent les épitres pauliniennes, il y a un combat qui se fait hors-champ. Il est lié à la vocation chrétienne : un combat qui, quoique invisible, est tout sauf imaginaire. Le chapitre 6 de l’Épître aux Éphésiens, verset 12 nous explique que la lutte dans la chair et le sang, n’est pas l’événement principal (Ep 6:12) : COVID-19 nous rappelle que notre guerre avec les puissances de l’air est invisible, juste perceptible quelques fois, mais toujours véritable, et que ce conflit influence le monde visible de manière conséquente.

La mission du peuple de Dieu

Qu’est-ce que ces réflexions nous apportent, à nous chrétiens lorsque nous sommes en lockdown ? 

A mon avis, c’est un rappel d’un peuple appelé « hors de » et « envers »: soit dans nos foyers personnels ou dans les bancs adjacents. Le peuple de Dieu : un peuple qui se caractérise surtout par une réponse exubérante à l’amour que Dieu a démontré par le Christ. Ce peuple est sans doute essentiel à la société dans son ensemble. Pourquoi ? Car nous faisons résonner et retenir un rugissement de défiance envers le silence d’une mentalité pessimiste voire fataliste : nous nous remettons au Divin plutôt qu’au désespoir.

La continuité

La louange des balcons s’est avérée être fiable. Elle ne dépendait pas des taux d’infection, ni des semaines tendues comptées jusqu’aux jours d’un vaccin : cette louange se produisait car il y avait des héros à remercier et elle persévéra car ces héros continuent leur lutte en faveur de la communauté qui les abrite. Dans la constance, il y a également de la souplesse – quelques soirs nous avons pris congé des balcons, de même pour nos voisins, etc. Mais à 21h, le quasi-sacrement avait lieu de manière fidèle : il y avait un contrat implicite. Il fallait rendre hommage et commémorer

Petit bis

Le matin de Paques, je me suis permis d’applaudir depuis mon balcon, le Bien invisible. Je me suis redressé, tout seul, pour reconnaître le combat superlatif, qui a eu lieu et d’où est advenu une victoire, dans des lieux que je contemple seulement par les yeux de la foi : une histoire qui est la nôtre, une bataille accomplie sur une terre lointaine de mes horizons présents. Le Héros, Le Remède Ultime, est toujours digne de louanges.

 

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Calen Gayle

Le premier instrument de Calen était le kazoo, à l'âge de 4 ans. Depuis lors, il a obtenu un master en flute, à la UNC School of Arts. Il a obtenu un master en théologie à l'université de Genève, faisant suite à l'obtention d'un bachelor en "christian leadership" (Belmont University). Il est en charge d'un ministère enfance/jeunesse à All Saints (Vevey, Suisse). Calen aime la musique et la foi, comment elles se rejoignent et rendent témoignage à la beauté et à la vérité. Il est le père de deux enfants, âgés de 3 ans et de 8 mois. Sa meilleure amie et épouse depuis 6 ans, Daphne, est une pianiste et traductrice accomplie.

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