Sur la quatrième de couverture d’un livre qu’on vient de vous offrir, son auteur est désigné par le mot de « théologien ». Vous vous dites que c’est une bonne raison pour laisser ce bouquin s’empoussiérer dans votre bibliothèque. Ou alors vous vous demandez ce qu’un théologien peut bien avoir d’intéressant à raconter. Dans l’un comme l’autre cas, peut-être est-il bon de se pencher sur cette question : la théologie, c’est quoi ?
Table des matières
La théologie comme science
Le mot théologie apparait déjà chez les philosophes grecs et c’est donc à partir du grec qu’il s’est formé. Théo–logie, c’est littéralement « discours (rationnel) sur la divinité/le divin ». Cette notion de discours rationnel, c’est ce qui caractérise nos sciences : on retrouve le suffixe –logie dans le nom de nombreuses disciplines scientifiques, de la biologie à la sociologie, en passant par la géologie et tant d’autres.
Dans notre contexte pétri de culture chrétienne, la théologie est donc, peut-on dire, « la science de Dieu ». Ceux qui la pratiquent sont les théologiens. A l’origine, c’est dans les Universités que cela se fait. Celles-ci ont été fondées dans ce but-là au Moyen Age. La théologie était alors la « reine des sciences », celle qui surplombe toutes les autres. Aujourd’hui, son statut strict de « science » est débattu, mais elle demeure une discipline enseignée dans bon nombre d’Universités.
La théologie à l’Université
Mais qu’est-ce donc qui est enseigné ? Penchons-nous sur un programme universitaire. Les cours de théologie sont séparés en plusieurs domaines, qui regroupent des champs d’études différents. On y trouve par exemple l’exégèse biblique, qui analyse les textes de l’Ancien et du Nouveau Testament, l’histoire du christianisme (ou, de manière peut-être plus restrictive, « l’histoire de l’Eglise »), mais aussi des choses moins familières comme la théologie systématique, appelée aussi théologie dogmatique ou fondamentale.
Si l’on détaille le contenu de ces différents domaines, on découvrira que la théologie peut avoir des proximités très fortes avec la philosophie, l’histoire, les sciences du langage, la sociologie et divers autres domaines d’études. Chaque branche de la théologie a ainsi ses méthodes propres, en dialogue avec d’autres disciplines universitaires.
Mais devons-nous vraiment poursuivre sur cette voie académique pour découvrir ce qu’est la théologie ? Faire un catalogue de ce que l’on enseigne à l’Université serait penser que la théologie n’est qu’une collection d’approches différentes, vaguement liées par un questionnement autour de Dieu, qui est alors indifféremment présenté comme un postulat philosophique, une expression du fait religieux ou encore un élément de la foi chrétienne.
C’est aussi oublier que si l’Université est un lieu phare de la construction et de la pratique de la théologie, elle n’en a pas le monopole. On m’a un jour dit qu’il fallait être titulaire d’un Master en théologie pour être un.e vrai.e théologien.ne. Je ne suis pas d’accord.
En fait, on pratique rarement la théologie en tant que telle ; on met plutôt en pratique une démarche, on développe un regard, on combine des approches qui font de notre réflexion une réflexion proprement théologique. La théologie, plus qu’une science élaborée entre quatre murs – fussent-ils ceux d’une Université – c’est avant tout un chemin qu’on emprunte.
Une démarche d’interprétation
Ce chemin, il est tout d’abord fait d’allers-retours. Nous l’avons vu, la théologie traite de ce qui est relatif au divin, au transcendant, et ce de manière rationnelle. Mais la réflexion n’est jamais solitaire ou désincarnée. C’est un dialogue constant entre les textes fondateurs, la tradition, l’expérience personnelle, le contexte culturel et social, la philosophie.
En s’appuyant sur la Bible et le témoignage passé et présent de l’Eglise, il s’agit de poser une réflexion qui cherche autant à dire qu’à redire, dans un constant mouvement d’interprétation mutuelle entre les différents éléments qui nourrissent notre pensée.
C’est aussi un travail de traduction, tant au sens propre (on pense aux textes bibliques, par exemple) qu’au sens plus général et figuré. On traduit dans le contexte dans lequel on vit des intuitions qui émergent en soi, en partant de ses expériences (spirituelles, intellectuelles ou autres.). On les exprime par la médiation du langage, pour que celles-ci soient reçues et transmises à leur tour.
Une dimension existentielle
Ce travail d’interprétation se fait rarement en l’absence d’une dimension existentielle forte. Celle-ci est plus ou moins affirmée, plus ou moins conscientisée, mais généralement toujours présente.
Cela fait qu’on a pu dire de la théologie qu’elle cherchait à comprendre la foi rationnellement, à en expliquer le sens. Elle est en effet souvent présentée comme la « foi qui cherche à se comprendre » (d’après les mots d’Anselme de Cantorbéry) et serait donc nécessairement précédée d’une confession de foi.
Sans aller jusque-là, la réflexion théologique est souvent accompagnée d’un questionnement profond, qui peut prendre une forme d’affirmation : elle peut comporter une dimension de témoignage et ainsi participer à la proclamation de l’Evangile((Note de l’éditeur : l’Evangile est pour la foi chrétienne de la Bonne Nouvelle que Dieu adresse à l’humanité. Cette Bonne Nouvelle prend la forme d’une personne (Jésus-Christ) et l’Eglise est au service de l’annonce de cette Bonne Nouvelle adressée à tous et toutes)). En cela, elle est à la fois vérité et appel.
Une place pour ce qui nous échappe
Si la réflexion théologique comporte une dimension d’appel, c’est qu’elle cherche à exprimer quelque chose qui la dépasse. Elle ouvre à un au-delà d’elle-même, qui est au-delà même, peut-être, de ce que l’on peut envisager par la simple connaissance rationnelle.
Il y a dans la pratique de la théologie quelque chose d’inépuisable, qui lui provient du mystère qu’elle cherche à aborder, à rendre intelligible, à expliquer. Son « objet » principal, à savoir Dieu, le divin, ne peut être saisi, ni complètement expliqué. Cela rend son entreprise à la fois parfaitement vaine et absolument nécessaire.
En effet, la théologie tient compte de la dimension transcendante de l’existence (ou peut-être plus justement du surgissement de la transcendance dans l’existence) et cherche ainsi à embrasser l’humanité dans toutes ses dimensions.
Souvent emportée par le vertige de la connaissance, comme de nombreuses sciences, la théologie n’en demeure pas moins, de ce fait, l’une des plus humbles : ce qui lui échappe sera toujours plus grand que ce qu’elle peut saisir.
C’est pour cela que laisser une place pour la réflexion théologique dans nos Universités me parait tant important que bénéfique pour la société civile dans son ensemble : cela permet de cultiver un regard humain au sens le plus fort du terme et ainsi de rester critique tant face aux fondamentalismes religieux qu’aux nouvelles idéologies issues technosciences (pour citer deux exemples d’actualité).
Plus personnellement, faire de la théologie, c’est pour moi faire partie d’une communauté de pensée qui me lie aux autres, ceux et celles du passé, du présent et de l’avenir. En interprétant mon expérience à la lumière de celle d’autres personnes et en dialogue avec celles-ci, je m’insère dans une tradition et je découvre la joie de transmettre à mon tour mon questionnement, mon cheminement, ma confiance et mon émerveillement.
En faisant de la théologie, j’ouvre une fenêtre vers l’Ailleurs, ce grand mystère qui entoure nos vies et qui m’inspire à contribuer au rayonnement de la Bonne Nouvelle de Jésus Christ. Dire une parole d’Evangile, c’est dire une parole qui a du sens (qui vient de quelque part) et qui porte (qui va quelque part).
Quant à la réflexion théologique au sens large, on ne peut que souhaiter qu’elle se pratique hors des murs des Universités, dans nos Eglises, autour de la table familiale et sur le web (!). Après tout, elle est une manière d’interpréter le monde sous le regard de Dieu, par l’intermédiaire des médiations humaines. Et, pourquoi pas, de (s’)ouvrir à Sa Parole.